Mais il le faisait avec naturel, avec facilité, avec un don de récit et de mise en scène qui était son talent propre, avec une veine de raillerie et de comique qui se répandait sur tout, avec une morale vive, enjouée, courante, qui était sa manière même de sentir et de penser. […] Que dire de Gil Blas qui n’ait pas déjà été dit, que n’aient pas senti et exprimé tant de panégyristes ingénieux, de critiques délicats et fins, et que tout lecteur judicieux n’ait pas pensé de lui-même ? […] Joubert, pensait à ce manque d’idéal chez notre auteur, quand il a laissé tomber ce jugement sévère : « On peut dire des romans de Lesage qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la Comédie. » Mais nous touchons là aux antipathies qui séparent nettement deux races d’esprits : ceux qui préfèrent le naturel à tout, même au distingué, et ceux qui préfèrent le délicat à tout, même au naturel.
On peut dire que dès lors il pensait tout droit, devant lui. […] J’ai dit que M. de Broglie est un des esprits les plus originaux de ce temps-ci ; il l’est surtout dans la forme, dans la méthode et dans les moyens de démonstration qu’il emploie ; même quand il pense la même chose que tout le monde, quand il arrive aux mêmes conclusions, il y arrive ou s’y confirme par ses raisons à lui ; il a en tout ses raisons, vraies peut-être, subtiles quelquefois, ingénieuses toujours, et qui ne sont jamais du vulgaire : son aristocratie, s’il fallait en rechercher quelque trace en lui, se retrouverait par ce coin-là. […] Ce qu’il disait là sur un point de la question, il le disait ou le pensait sur les autres points ; il estimait que l’art dramatique était en bonne voie.
» Ce simple mot devint le signal de l’applaudissement universel, et, à partir de là, tout le discours de Marmontel fut pris comme un persiflage, et tourné contre le nouvel élu : « L’homme de lettres que vous remplacez, — pacifique, — indulgent, — modeste, — ou du moins attentif à ne pas rendre pénible aux autres l’opinion qu’il avait de lui-même, — s’était annoncé par des talents heureux… » À chacun de ces mots flatteurs pour le défunt, on interrompait Marmontel, qui devenait malin à son tour, plus malin encore sans doute qu’il n’avait pensé l’être, et qui, par ses pauses marquées, se laissait très bien interrompre. […] On peut penser si ses ennemis se réjouissaient de ces disparates. […] Quand on apprit que La Harpe, divorcé et veuf, venait de se remarier le 9 août 1797 avec une jeune et jolie personne (Mlle de Hatte-Longuerue), et presque aussitôt quand on sut que la jeune femme demandait le divorce et se disait trompée par sa mère dans le choix du mari, je laisse à penser si les rieurs se tinrent pour battus.
Généreux comme il était, il pensa qu’il valait mieux tout couvrir, ne pas laisser peser sur ses généraux une responsabilité accablante ; il voulut absoudre tout le monde au moyen d’une déclaration où il prendrait tout sur lui. […] On est revenu de bien des illusions aujourd’hui, et je continuerai pourtant de parler des Ordonnances de Juillet à peu près comme on en pensait alors. […] Mauguin commençait à discuter sur l’illégalité des Ordonnances, il l’interrompit en lui disant : Monsieur Mauguin, quelles que soient les raisons que vous énumériez, j’en pense encore plus que vous n’en direz là-dessus ; mais j’ai ici des devoirs militaires à remplir ; j’en comprends toute l’étendue, toutes les conséquences, et, dussent la proscription et la mort être pour moi le résultat de ma conduite, je remplirai en homme d’honneur les devoirs militaires qui me sont imposés ; — et j’en appelle à mes camarades, MM. de Lobau et Gérard, puis-je agir autrement ?