J’ai moi-même, dans ma jeunesse, entendu de ces anciens oratoriens se racontant, se rappelant entre eux l’arrière-fond de leur vie et de leurs pensées en ces années de régularité extérieure. […] Si j’osais rendre toute ma pensée, j’ajouterais aux justes éloges que mérite ce premier et déjà savant travail, que c’est d’un point serré, fin, d’un fil bien déduit et ingénieux sans doute, mais je dirais aussi qu’on n’est point entièrement satisfait en finissant. […] Sa pensée a quelque chose de trop rentré. […] Daunou écrivain va droit à Fléchier par goût, comme il est allé à Boileau ; ils représentent à la fois pour lui le double modèle littéraire de ce judicieux et de cet ingénieux qu’il aime dans la pensée et dans l’expression. […] C’est, j’ose n’en douter aucunement, c’est l’épellation actuelle qui donne le premier faux pli à la pensée, qui transporte les esprits loin du sentier de l’analyse, et qui met l’habitude de croire à la place de la raison.
Il réussit, et devint si original qu’« à côté de lui Sterne est un Cicéron pour la régularité de la pensée et du style 403 ». […] Ici l’expression de l’âme sur le visage, la pensée du front, est tout ; le corps n’est plus qu’un objet honteux que les artistes les plus intelligents voilent modestement d’une draperie410. […] Il garde volontiers le silence, et sa conversation est systématiquement assez banale, parce qu’il évite avec soin le choc des idées, et ne laisse paraître sur aucune grande question le fond de sa pensée. […] Douter que le sang fût immobile dans les veines, douter qu’une goutte d’or potable fût le remède de tous les maux, c’était une pensée presque impie, un crime de lèse-majesté devant les satrapes de l’empire d’Aristote. […] À l’époque de la guerre de Troie, les formes de la pensée et toute la manière de vivre étaient bien différentes de celles que nous retrouvons dans l’Iliade.
Ce fut une apparition étrange et comme la voix d’un peuple enseveli sous terre, lorsque, parmi la corruption splendide du beau monde, se leva cette sévère pensée bourgeoise, et que les polissonneries d’Afra Behn, qui divertissaient encore les dames à la mode, se rencontrèrent sur la même table avec le Robinson de Daniel de Foe. […] Tout cela ne paraissait pas s’accorder avec la chose elle-même, ni avec les idées que nous nous faisons ordinairement de la subtilité du diable1032. » Dans cette âme passionnée et inculte qui « huit années durant est restée sans pensée et comme stupide », enfoncée dans le travail manuel et sous les besoins du corps, la croyance prend racine, nourrie par l’anxiété et la solitude. […] La séve de la pensée humaine, abandonnant les anciennes branches qui sèchent, vient affluer dans des rameaux inaperçus qu’elle fait tout d’un coup végéter et verdir, et les fruits qu’elle y développe témoignent à la fois de la température environnante et de la souche natale. […] La pensée de Dieu, la crainte du jugement final, le préoccupent et le réforment. « Garrick, dit-il un jour, je n’irai plus dans vos coulisses, car les bas de soie et les poitrines blanches de vos actrices excitent mes propensions amoureuses1095. » Il se reproche son indolence, il implore la grâce de Dieu, il est humble et il a des scrupules. — Tout cela est bien étrange. […] Tout le courant de la pensée publique se porte ici vers l’observation de l’âme, et la peinture entraînée roule avec les lettres dans le même canal.
À cette époque, la confusion de ses pensées est extrême. […] Il est plein de pensées. […] Et pourquoi, tout à l’heure, « l’innocence de nos pensées et de nos joies ? […] Une seule pensée m’absorbait ; je comptais avec impatience les moments. […] Ce n’est point, en effet, par la pensée qu’il est éminent et rare.