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1751. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Des sons tracés, des caractères muets sont la seule communication qu’il y ait entre vous et lui : il n’y a que sa pensée qui parle à la vôtre. […] Si donc, en célébrant les grands hommes, vous voulez être mis au rang des orateurs, il faut avoir parcouru une surface étendue de connaissances ; il faut avoir étudié et dans les livres et dans votre propre pensée, quelles sont les fonctions d’un général, d’un législateur, d’un ministre, d’un prince ; quelles sont les qualités qui constituent ou un grand philosophe ou un grand poète ; quels sont les intérêts et la situation politique des peuples ; le caractère ou les lumières des siècles ; l’état des arts, des sciences, des lois, du gouvernement ; leur objet et leurs principes ; les révolutions qu’ils ont éprouvées dans chaque pays ; les pas qui ont été faits dans chaque carrière ; les idées ou opposées ou semblables de plusieurs grands hommes ; ce qui n’est que système, et ce qui a été confirmé par l’expérience et le succès ; enfin tout ce qui manque à la perfection de ces grands objets, qui embrassent le plan et le système universel de la société. […] Méditez donc sur l’âme et le génie de celui que vous voulez louer ; saisissez les idées qui lui sont propres ; trouvez la chaîne qui lie ensemble ou ses actions ou ses pensées ; distinguez le point d’où il est parti, et celui où il est arrivé ; voyez ce qu’il a reçu de son siècle, et ce qu’il y a ajouté ; marquez ou les obstacles ou les causes de ses progrès, et devinez l’éducation de son génie.

1752. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Aussi son livre est-il touffu de pensées, d’observations et force-t-il à une lente lecture ; il n’est pas de ceux que l’on parcourt. […] Quel est celui qui tient ta pensée indécise ? […] Jusque-là tout avait été fait pas la simple pensée, sans qu’il y mît la main. […] C’est à regret qu’on ferme un pareil livre, plein de hautes pensées et de grands enseignements pour les artistes de tous les temps. […] Le soupçon ne lui vint pas un instant que cette pensée fût coupable.

1753. (1925) La fin de l’art

La pensée ravage toujours la figure : il est vrai que la vie y suffit très bien. […] Il mit dans une enveloppe quelques pensées sur les femmes, les envoya et eut le bonheur de les lire imprimées la semaine suivante. […] Sur une phrase Sur mille personnes qui répètent si volontiers la moitié, je ne dirais pas de la pensée, car ce n’est même pas une pensée, la moitié de la phrase de Pascal : « Les fleuves sont des chemins qui marchent… », il n’en est peut-être pas une qui soit capable de la compléter : « … et qui mènent où on veut aller. » S’ils la connaissaient toute, peut-être ne la répèteraient-ils plus, car ils en verraient trop clairement l’absurdité. […] Vers la fin de la vie de Diderot, les œuvres qui ont le plus fait pour sa réputation, tant près du peuple que près des lettrés, n’avaient pas encore été imprimées et on l’estimait surtout comme l’auteur laborieux de l’Encyclopédie, comme l’écrivain un peu lourd des Pensées philosophiques ou de la Lettre sur les aveugles. […] Je ne me représente pas sans angoisse un chien ou un chat que l’on torture et je n’aime pas à m’arrêter à une telle pensée.

1754. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Pour les uns, reconnaître une perception présente consisterait à l’insérer par la pensée dans un entourage ancien. […] Le schème moteur, soulignant ses intonations, suivant, de détour en détour, la courbe de sa pensée, montre à notre pensée le chemin. […] Mais la pensée scientifique, analysant cette série ininterrompue de changements et cédant à un irrésistible besoin de figuration symbolique, arrête et solidifie en choses achevées les principales phases de cette évolution. […] Essentiellement discontinue, puisqu’elle procède par mots juxtaposés, la parole ne fait que jalonner de loin en loin les principales étapes du mouvement de la pensée. […] Les images ne seront jamais en effet que des choses, et la pensée est un mouvement.

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