Ces esprits médiocrement propres à beaucoup de choses, ont la même destinée quand on les applique à la peinture. […] Il est même des professions où l’imagination, où l’art d’inventer est aussi nuisible, qu’il est necessaire dans la poësie et dans la peinture.
Goethe a su joindre à cette peinture des inquiétudes de l’âme, si philosophique dans ses résultats, une fiction simple, mais d’un intérêt prodigieux3. » Ce jugement de madame de Staël est profond et parfait pour l’époque où elle écrivait. […] C’est, dit-elle, la peinture des maladies de l’imagination dans notre siècle ; et la cause de ces maladies, elle la trouve dans ces pensées qui nous assiègent, et qui ne peuvent se changer en actes, c’est-à-dire dans le contraste de notre développement intellectuel et sentimental, à nous autres modernes, avec la triste vie à laquelle nous condamne la constitution actuelle de la société. […] Toute peinture ainsi faite par l’auteur d’un ouvrage, dans le but d’expliquer cet ouvrage, devient personnelle au point de manquer de largeur et de lumière : au lieu de la Providence qui enfante les chefs-d’œuvre de l’esprit humain, on ne découvre plus que le hasard des causes accessoires. […] De là toutes ces images du monde extérieur introduites si naturellement dans la peinture des sentiments, qu’on dirait qu’elles ne font avec elles qu’un seul tissu. […] Montrez-nous, en un mot, dans toutes vos peintures, le salut de la destinée individuelle lié à celui de la destinée universelle.
Vous diriez des tableaux de l’école française éteints par le voisinage de peintures vénitiennes. […] Au dix-neuvième siècle, les plus belles poésies ne sont plus des peintures de l’homme dans des cadres appelés genres. […] Après quelque hésitation entre la peinture et la poésie, qui tout d’abord l’avaient attiré en même temps, Théophile Gautier choisit la poésie comme offrant plus de ressources à son talent, le plus plastique qui ait paru dans l’histoire de notre littérature. […] La finesse d’analyse, où excelle Mérimée, se rapproche plus de la peinture, et la langue, dans sa propriété irréprochable, a de l’abondance, du coloris et de l’accent. […] Peintures de mœurs et de caractères, dialogues, récits, descriptions, tout dans ses livres est revêtu de cette beauté suprême.
On y a vu passer Les Iambes sur la Sainte canaille, de Barbier ; La Charogne, de Baudelaire ; Les Réfractaires et La Rue, de Vallès ; Littré et ses singes, volés à Darwin ; Courbet, en peinture, Courbet-le-Déboulonneur ; Manet, L’Homme au bon bock. […] Il peint tout, dans cette Halle qu’il a choisie comme sujet de peinture incessante, dans cette Halle qui est bien plus le sujet de son livre que les personnages qui s’y agitent ; et il peint avec une telle absorption de lui-même dans l’objet, qu’il n’est plus une main conduite par une pensée, mais une espèce de palette mécanique, un pinceau qui va par l’effet d’un ressort, un procédé. […] Zola, dans sa prétention la plus accusée, qui était d’être de la peinture par les mots élevée à sa plus haute puissance plastique, n’est, au fond, qu’une suite parfois très fatigante de nomenclatures à épithètes violentes. […] C’est un livre d’intention scélérate, sous le désintéressement apparent de ses peintures. […] Zola est d’une brutalité de touche qui, de simples qu’elles sont, les fait basses, et son amour dépravé du détail laid — le mal général de la peinture à cet instant du xixe siècle — les abaisse davantage encore.