/ 1451
872. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Un peintre, avant de songer à la composition d’un tableau déterminé, se plaît au jeu des couleurs, simplement parce qu’il s’agit de couleurs. […] Constatons simplement que, sans aboutir aux mêmes conclusions, peintres et poètes sont partis d’un seul tournant : le sens de la liberté. […] Or, Venise est la ville des peintres par excellence. […] Un peintre ne peut ignorer le dessin, pas plus qu’un compositeur de musique les lois de l’harmonie, ni qu’un poète la prosodie. […] L’idéal du poète évoque un idéal de peintre dont la formule serait : ut pictura poesis.

873. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

« Mon père était un homme tout sentiment et « tout cœur », dit Louis Racine ; et il avoue ne pouvoir copier les lettres paternelles « sans verser à tous moments des larmes, parce qu’il me communique, dit-il, la tendresse dont il était rempli9. » Les vers de Virgile, les tableaux de Raphaël, les chants de Mozart, rendent le même témoignage ; comme Racine, le peintre et le musicien ont été tout sentiment et tout cœur. […] On l’a appelé le peintre des femmes ; ce n’est pas une petite gloire que les femmes n’y aient pas contredit, et qu’elles aiment mieux se reconnaître aux faiblesses charmantes qu’il leur donne, qu’à l’héroïsme dont les a douées Corneille. […] S’il existe de lui un portrait, de la main d’un peintre tel que Tacite, il faut qu’il reste, dans le drame, égal à lui-même, qu’il vive comme le portrait, et qu’il n’en soit pas la copie.

874. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Vous le voyez, Messieurs, c’est bien un parti pris, facile à expliquer d’ailleurs, — et qu’aussi bien nous expliquerons à l’occasion de Rhadamiste ou de Zaïre ; — mais, en attendant, voilà qui nous étonne, et on se sent tenté d’appliquer à Racine un mot barbare, mais expressif, dont le savant Charles Blanc, qui n’aimait pas Raphaël, ne manquait pas à saluer ce grand peintre, pour l’en accabler sans doute, aussi souvent que l’occasion se présentait d’en parler : il l’appelait un profiteur. […] Et, en vérité, capable qu’il était de fondre ensemble l’hiératique mysticité des Vierges du Pérugin avec l’élégance insexuée des lignes florentines, et avec la plénitude ou l’opulence des formes romaines, Raphaël, plus consciencieux, n’eût-il pas dû s’abstenir de brouiller en lui les écoles et, avec les écoles, les idées aussi de l’auteur de l’Histoire des peintres et de la Grammaire des arts du dessin ? […] Mais s’en étonner ou s’en plaindre, c’est en méconnaître précisément un des traits essentiels ; c’est reprocher à Balzac la place qu’il a donnée dans ses romans à la question d’argent, sur laquelle, vous le savez encore, il en a construit d’entiers, son César Birotteau, son Ursule Mirouët, son Eugénie Grandet ; ou, mieux enfin, c’est reprocher aux peintres hollandais la vulgarité de ces accessoires familiers dont ils ont aimé à remplir leurs toiles. […] « C’est que bien loin d’être ce peintre des mœurs de cour ou cet imitateur des convenances mondaines que l’on s’obstine à nous représenter… Racine… a enfoncé si avant dans la peinture de ce que les passions de l’amour ont de plus tragique et de plus sanglant qu’il en a non seulement effarouché, mais comme littéralement révolté la délicatesse aristocratique de son siècle. […] Seulement, comme Racine est un autre peintre que Corneille, — faites-y bien attention tout à l’heure, — tous ces détails, et tant d’autres que je vous ai cités, que vous allez vous-mêmes remarquer au passage, toute cette mythologie comme infuse dans le drame, nous éprouvons le besoin de les voir se réaliser.

875. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

. — Et je remarque aussi, sans oublier que le Sage est honnête homme, que l’indifférence entre le mal et le bien, que j’acceptais chez un peintre réaliste, il ne la garde plus tout à fait. […] Le siècle sera ainsi, bon peintre satirique, faible moraliste, ayant de bons yeux, et très aigus, mais ne voyant bien que les choses du moment, actualiste, et incapable de soutenir l’observation au jour le jour de la science pleine et solide de l’homme éternel. […] En présence des peuples il est d’abord un spectateur attentif ; puis un peintre, un interprète, un historien ; puis enfin, un savant qui, à force de connaître et de comprendre, croit pouvoir redresser, corriger, améliorer, guérir, qui croit que les lumières peuvent être créatrices, que les idées, quand elles sont si belles, doivent être fécondes ; — et qui peut-être ne se trompe pas.

/ 1451