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1055. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Il est difficile aux auteurs de ne pas se peindre, surtout dans un premier ouvrage : Émile, qui ne fait autre chose que se raconter à Mathilde, essaye à un endroit de se peindre aussi, ou du moins de tracer l’idéal relatif qu’il a parfois devant les yeux et qu’il est tenté de réaliser : « Il y aurait, dit-il, un caractère intéressant à développer dans un roman ; ce serait celui d’un jeune homme né comme moi sans famille, sans fortune, suffisant à tout ce qui lui manquerait par sa seule énergie, et dont les forces croîtraient avec les obstacles ; un jeune homme qui se placerait au-dessus d’une telle position par un tel caractère ; qui, loin de se laisser abattre par les difficultés, ne penserait qu’à les vaincre, et, esclave seulement de ses devoirs et de sa délicatesse, aurait su parvenir, en conservant son indépendance, à un poste assez élevé pour attirer sur lui les regards de la foule et se venger ainsi de l’abandon.

1056. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Quand Ajax (dans Homère) s’efforce de lancer quelque énorme quartier de rocher, le vers aussi travaille et les mots marchent pesamment : autre chose, quand la légère Camille (chez Virgile) rase la plaine, vole sans les courber sur la tête des épis, ou effleure la cime des vagues. » De tels morceaux, on le conçoit, sont intraduisibles ; et quand Delille, avec sa grande habileté, imitant ce passage au quatrième livre de l’Homme des Champs, vient nous dire : Peignez en vers légers l’amant léger de Flore ; Qu’un doux ruisseau murmure en vers plus doux encore…, il manque tout d’abord à la précision et à la sobriété de Pope qui dit Zéphyr tout court et non pas l’amant de Flore. […] Celui qui n’a pas l’œil fait pour observer toutes ces choses, et qui ne peut d’un seul regard distinguer chaque nuance et chaque teinte dans sa variété, sera d’autant insuffisant par là même dans une des plus essentielles qualités du poète. » Pope n’est certes pas dénué de pittoresque ; il sentait la nature, il l’a aimée et décrite dans sa forêt de Windsor ; condamné par sa santé à une vie sédentaire et ne pouvant voyager vers les grands sites, il avait le goût de la nature champêtre, telle qu’elle s’offrait riante et fraîche autour de lui : il dessinait même et peignait le paysage, il avait pris des leçons, pendant une année et demie, de son ami Jervas ; et comme on lui demandait un jour : « Lequel des deux arts vous donne le plus de plaisir, la poésie ou la peinture ? 

1057. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

En lisant les Mémoires de Mme Roland, on aperçoit l’actrice qui travaille pour la scène et qui noie dans une foule de puérilités l’apologie de ses amis et la satire de ses ennemis : toutes les figures y sont peintes en buste et le plus souvent par le pinceau des passions. […] » Après quelques raisonnements d’une banalité un peu novice, elle en vient à se peindre elle-même sous le nom de Chloé ; elle semble y faire allusion à son goût de jeune fille pour La Blancherie.

1058. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Le duc de Noailles dont il est question ici et qui mourut comblé de jours, de considération et d’honneurs en 1766, à l’âge de quatre-vingt-huit ans, est celui que Saint-Simon a peint en traits saillants, terribles, très flatteurs aussi à bien des égards, exagérés sans doute sur quelques points ; mais cela précisément appelle la discussion et l’examen. […] À côté de la peinture de Saint-Simon, j’ai bien envie de mettre le croquis du maréchal de Noailles par le marquis d’Argenson qui, lui, ne peint pas, mais charbonne.

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