Ce fut alors que le désir de la conserver et de retendre devint en elle une passion qui a formé le trait saillant de son caractère. […] Toutefois, le secret de madame de Maintenon ne réside pas uniquement dans son mérite et dans ses charmes ; il faut aussi reconnaître en elle deux autres principes de conduite qui mirent en valeur tous ses avantages : ce furent deux passions que madame de Maintenon ressentit au plus haut point ; savoir : Un amour vif pour Louis XIV, et un grand respect pour elle-même. […] L’amour de la considération est, comme l’amour de la gloire, une passion peu définissable, La considération, comme la gloire, n’a ni bornes, ni contour, ni confins, ni domaines déterminés. […] Il inspire les passions profondes. […] Il offre tant de sympathies diverses à satisfaire, il soumet les sympathies physiques à tant de sympathies morales et intellectuelles, il présente tant de points de défense et d’attaque en même temps, il fait naître tant désirs au-delà du désir même, il offre tant à conquérir au-delà de la dernière conquête, il donne tant de jeu aux craintes, aux espérances, il arrête les progrès si près du but et y rappelle si puissamment par l’effort même qui en éloigne, enfin il y a tant de distance entre les voluptés que l’art le plus exercé ou le naturel le plus aimable peuvent donner à l’abandon et le charme de cette retenue mystérieuse qui arrête les mouvements d’un cœur passionné, que rien n’est impossible à une grande passion dans le cœur d’une telle femme.
Cet éloge, où un particulier loue un prince avec lequel il a quelque temps vécu dans l’obscurité, pouvait être précieux ; le souvenir des études de leur jeunesse et cette heureuse époque où l’âme, encore neuve et presque sans passions, commence à s’ouvrir au plaisir de sentir et de connaître, devait répandre un intérêt doux sur cet ouvrage ; mais nous ne l’avons plus, et nous n’en pouvons juger ; nous savons seulement qu’il était écrit en grec. […] On dira peut-être que ce sont là plutôt des vertus d’un cénobite que d’un prince ; on se trompe ; on ne pense point assez combien, dans celui qui gouverne, cette vie austère retranche de passions, de besoins, combien elle ajoute au temps, combien elle laisse au peuple, combien elle diminue les moyens de corruption et de faiblesse, combien, par l’habitude de se vaincre, elle élève l’âme. […] Elle était devenue un sentiment, une passion, mais une passion d’autant plus forte qu’elle était calme, et n’avait pas besoin des secousses de l’enthousiasme. […] Son extérieur était simple, son caractère ne l’était pas ; ses discours, ses actions avaient de l’appareil et semblaient avertir qu’il était grand ; suivez-le, sa passion pour la gloire perce partout ; il lui faut un théâtre et des battements de mains ; il s’indigne quand on les refuse ; il se venge, il est vrai, plus en homme d’esprit qu’en prince irrité qui commandait à cent mille hommes, mais il se venge ; il court à la renommée, il l’appelle ; il flatte pour être flatté : il veut être tout à la fois Platon, Marc-Aurèle et Alexandre57.
Goethe, âgé de vingt-trois ans, dans la plénitude et le vague d’un génie qui est à la veille de produire, mais qui hésite encore, le front chargé de nuages et de pensées qui vont en tous sens, le cœur gonflé de sentiments et ne sachant qu’en faire (sera-ce une passion ? […] Le jeune Jérusalem, fils d’un théologien connu, et secrétaire de légation, qui se trouvait à Wetzlar en même temps que Goethe, jeune homme romanesque et lettré, épris d’une passion malheureuse pour la femme d’un de ses collègues, se tua d’un coup de pistolet à la fin d’octobre 1772. […] Cependant, il dit dans ses mémoires que « la mort de Jérusalem, occasionnée par sa malheureuse passion pour la femme d’un ami, l’éveilla comme d’un songe et lui fit faire avec horreur un retour sur sa propre situation. » Mais, dans ses mémoires, il entendait ceci d’un commencement de passion plus récente qu’il croyait éprouver pour la fille de Mme de La Roche, la même personne qu’il avait vue il y avait peu de temps à Coblentz, et qui venait de se marier à Francfort. […] Dans ce qu’il leur écrit durant cet hiver de 1772-1773, qui précède le mariage, il paraît gai, heureux ou du moins libre, et tourmenté du besoin d’aimer et du vague de la passion plutôt que d’aucune particulière blessure. […] Je la vois toujours telle que je l’ai quittée ; ainsi, je ne te connais pas en ta qualité de mari ; je ne connais d’autres relations que nos anciennes, auxquelles j’ai associé dans une certaine occasion des passions étrangères.
Que la passion soit fataliste, qu’elle veuille tuer la liberté, à la bonne heure ! […] La publication des lettres écrites du Donjon de Vincennes avait déjà révélé Mirabeau dans la pleine frénésie des passions et des sens, sous un jour romanesque, mais vrai, et que la postérité aisément pardonne. […] Quoi qu’il en soit, le jugement total de la vie publique et privée de Mirabeau laissait l’idée de quelque chose de grand mais d’énormément souillé, d’une grossière débauche avec des éclairs de passion divine, d’ure souveraine et libre parole avec des besoins cupides ; et sa mémoire comme son corps, tantôt au Panthéon et tantôt sur la claie ! […] Lucas-Montigny, que ces étincelles de première passion ne furent pas chez Mirabeau sans combat, qu’il chercha même par un attachement peu sérieux et assez subalterne à détourner l’orage qu’il sentait naître, et à faire avorter son périlleux amour. […] Sans doute il ne suivit aucun plan général dans ses attaques, et ne les gouverna souvent qu’au gré de ses passions ou même de ses besoins ; et c’est en ce sens surtout qu’il est vrai de dire que sa mémoire publique, sa mémoire de grand citoyen a reçu d’irréparables atteintes ; mais il eut de rares et lumineuses inspirations sur l’état social profond et l’avenir où l’on se précipitait.