Lorsque du Créateur la parole féconde Dans une heure fatale eut enfanté le monde Des germes du chaos, De son œuvre imparfaite il détourna sa face, Et, d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace, Rentra dans son repos. […] À chanceler sans équilibre et à balbutier sans parole pendant les premières années, qu’on appelle heureuses parce qu’elles sont celles où l’homme a le moins conscience de son être, et qu’elles ressemblent, en effet, le plus au néant ; à grandir pendant quelques autres années, et à recevoir, par transmission de ses parents, une certaine dose d’idées reçues, les unes sagesse, les autres sottises, dont se compose, pour l’homme, la pensée de sa tribu, ce qu’on appelle la civilisation, s’il est civilisé, ou la barbarie, s’il ne l’est pas : la différence n’est pas très sensible à qui contemple de très haut et des sommets de la vérité éternelle ces deux conditions de l’espèce humaine. […] Non ; le tonnerre et toi, quand ton simoun y vole, Vous avez seuls le droit d’y prendre la parole, Et le lion, peut-être, aux narines de feu, Et Job, lion humain, quand il rugit à Dieu ! […] mais qui sont toi, Évidences d’esprit qui parlent sans paroles, Qui ne te taillent pas dans le bloc des idoles, Mais qui font luire, au fond de nos obscurités, Ta substance elle-même en trois vives clartés.
Sous ces joies et ces tristesses qui peuvent à la rigueur se traduire en paroles, ils saisiront quelque chose qui n’a plus rien de commun avec la parole, certains rythmes de vie et de respiration qui sont plus intérieurs à l’homme que ses sentiments les plus intérieurs, étant la loi vivante, variable avec chaque personne, de sa dépression et de son exaltation, de ses regrets et de ses espérances. […] Si vous vous endormez au milieu de gens qui causent, vous trouverez parfois que leurs paroles se vident peu à peu de leur sens, que les sons se déforment et se soudent ensemble au hasard pour prendre dans votre esprit des significations bizarres, et que vous reproduisez ainsi, vis-à-vis de la personne qui parle, la scène de Petit-Jean et du Souffleur. […] Je veux dire que nous nous mettons pour un très court instant à sa place, que nous adoptons ses gestes, ses paroles, ses actes, et que si nous nous amusons de ce qu’il y a en lui de risible, nous le convions, en imagination, à s’en amuser avec nous : nous le traitons d’abord en camarade.
Il les harangue en son meilleur italien, et, dans cette occasion comme dans toute autre, il montre assez quelle importance il attache à savoir bien parler la langue des divers pays où il sert, et à joindre une certaine éloquence aux autres moyens solides : « Je crois que c’est une très belle partie à un capitaine que de bien dire. » Il remonte donc par ses paroles le moral ébranlé des Siennois, leur rend toute confiance, et l’on se promet, citoyens d’une part, colonels et capitaines de l’autre, de ne point séparer sa cause et de combattre jusqu’à la mort pour sauver la souveraineté, l’honneur et la liberté. […] Pendant qu’il le soutient, et indépendamment des assauts du dehors, Montluc a au-dedans à se tirer de deux circonstances difficiles : dans la première, il lui faut renvoyer les troupes allemandes qui s’accommodent peu du jeûne et qui vont affamer trop tôt la place : il les fait sortir de nuit avec adresse, et sans rien communiquer au Sénat ; et il raccommode ensuite cette dissimulation par de belles paroles, si bien que le courage des habitants n’est point ébranlé, mais bien plutôt accru par cette diminution de défenseurs.
Le roi d’Angleterre lui ayant envoyé faire des compliments sur la mort de Louvois, il répondit à celui qui venait de sa part : « Monsieur, dites au roi d’Angleterre que j’ai perdu un bon ministre, mais que ses affaires et les miennes n’en iront pas plus mal pour cela. » Vraies paroles et vrai sentiment de roi ! […] Il nous en coûte quelques vaisseaux ; cela sera réparé l’année qui vient, et sûrement nous battrons les ennemis. » Parole encore de vrai roi, qui n’a ni l’humeur du despote, irrité que les choses lui résistent, ni la versatilité du peuple, dont les jugements varient selon le bon ou le mauvais succès.