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411. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Le livre oublié d’Avellaneda remis en lumière par un homme qui porte à la main un flambeau, la grande affaire pour la Critique est dans l’appréciation du livre qu’il éclaire, quel que soit cet Avellaneda qui l’a signé ; car avant de discuter le livre, on en a discuté l’auteur. […] Si on peut reprocher au grand romancier de l’Espagne d’avoir oublié bien souvent qu’il y avait deux chevaleries, — la Chevalerie féerique et la chevalerie religieuse, toutes deux admirablement unies dans l’Arioste et dans le Tasse, et qu’il a séparées, lui, ne voulant pas, sans doute, trop parler de cette chevalerie religieuse qui aurait arrêté la raillerie sur ses pieuses lèvres d’Espagnol, — que dira-t-on d’Avellaneda, dans lequel on n’en surprend pas même la trace ?

412. (1904) Zangwill pp. 7-90

Deuxièmement, et cette deuxième raison, étant une raison de réalité, recouvre et commande la première, qui était une raison de connaissance ; comment l’histoire s’arrêterait-elle, si l’humanité ne s’arrête pas ; à moins de supposer que l’histoire ne serait pas l’histoire de l’humanité ; et c’est en effet bien là que l’on en était arrivé, c’est bien ce que l’on a supposé, au moins implicitement ; on a tant parlé de l’histoire, de l’histoire seule, de l’histoire en général, de l’histoire en elle-même, de l’histoire tout court, on a tant surélevé l’histoire que l’on a quelque peu oublié que ce mot tout seul ne veut rien dire, qu’il y faut un complément de détermination, que l’histoire n’est rien si elle n’est pas l’histoire de quelque événement, que l’histoire en général n’est rien si elle n’est pas l’histoire du monde et de l’humanité. […] J’ai donc bien le droit, j’ai le devoir de chercher dans Renan et dans Taine la première pensée du monde moderne, la pensée de derrière la tête, comme on dit, qui est toujours la pensée profonde, la pensée intéressante, la pensée intérieure et mouvante, la pensée agissante, la pensée cause, la source et la ressource de la pensée, la pensée vraie ; et pour trouver l’arrière-pensée de Renan, passant à l’autre bout de sa pleine carrière, on sait que c’est dans les dialogues et les fragments philosophiques, dans les drames qu’il faut la chercher ; je me reporte aux Dialogues et fragments philosophiques, par Ernest Renan, de l’Académie française, quatrième édition ; je sais bien que la citation que je vais faire est empruntée à la troisième partie, qui est celle des rêves ; certitudes, probabilités, rêves ; je sais que mon personnage est celui de Théoctiste, celui qui fonde Dieu, si j’ai bonne mémoire ; je sais que les objections lui sont présentées par Eudoxe, qui doit avoir bonne opinion ; je n’oublie point toutes les précautions que Renan prend dans sa préface ; mais enfin mon personnage dit, et je copie tout au long ; je passe les passages où ce Théocrite rêve de la Terreur intellectuelle ; nous y reviendrons quelque jour ; car ils sont extrêmement importants, et graves ; et je m’en tiens à ceux où il rêve de la Déification intellectuelle : « Je vous ai dit que l’ordre d’idées où je me tiens en ce moment ne se rapporte qu’imparfaitement à la planète Terre, et qu’il faut entendre de pareilles spéculations comme visant au-delà de l’humanité. […] Sans doute la fable, le plus humble des genres poétiques, ressemble aux petites plantes perdues dans une grande forêt ; les yeux fixés sur les arbres immenses qui croissent autour d’elle, on l’oublie, ou, si l’on baisse les yeux, elle ne semble qu’un point. […] Ainsi avertis parmi nous, comment nos camarades historiens ne renieraient-ils pas aujourd’hui les primitives ambitions, les anticipations de l’un, les assurances de l’autre, et les infinies présomptions qui ont pourtant institué toute la pensée moderne ; comment ne les renieraient-ils pas, avertis qu’ils sont dans leur propre travail ; et comment travailleraient-ils même s’ils ne les reniaient pas incessamment ; sachons-le ; toutes les fois qu’il paraît en librairie un livre, un volume d’un historien moderne, c’est que l’historien a oublié Renan, qu’il a oublié Taine, qu’il a oublié toutes ces grandeurs et toutes ces ambitions ; qu’il a oublié les enseignements des maîtres de la pensée moderne ; et les prétentions à l’infinité du détail ; et que, tout bêtement, il s’est remis à travailler comme Thucydide. […] Les vieux eux-mêmes, Taine, Renan, les autres, quand ils travaillaient, oubliaient, étaient contraints d’oublier leurs propres enseignements ; leurs propres ambitions : toutes les fois qu’un volume de Taine paraissait, c’était que Taine avait, pour la pratique de son travail, pour la réalisation du résultat, oublié de poursuivre l’indéfinité du détail ; toutes les fois qu’il paraissait un livre de Renan, c’était que Renan avait, pour cette fois, renoncé à la totalisation du savoir ; ils avaient choisi ; comme tout le monde, comme les anciens, comme Hérodote, comme Plutarque, et comme Platon, ils avaient choisi.

413. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Autant vaudrait lui demander pourquoi il oublie souvent de coudre des rimes à ses vers. […] Il n’y a pas un roué, ambitieux ou non, qui ne s’arrange pour fonder sur un amour oublié une amitié durable. […] Lucien, Swift, Voltaire, Jean Paul, don Juan, ont le même droit que Diderot aux honneurs de la citation, pourquoi les oublier ? […] oubliera-t-il sans répugnance la chasteté savante du style qui jusqu’ici a fait sa gloire la plus solide ? […] En 1824, Goethe était encore de ce monde, et son nom était assez grand pour n’être pas oublié.

414. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Dans une de ses tragédies les moins connues, et d’ailleurs les plus justement oubliées, — c’est son Œdipe, — Corneille a fait en beaux vers l’apologie de cette liberté qui, est l’âme de son théâtre. […] L’exception est dans la nature, mais elle n’est pas « la nature », et déjà dans Rodogune, en nous peignant sa Cléopâtre, peut-être Corneille l’a-t-il oublié. […] Heureux, s’il n’eût pas oublié que, pour être voisine de l’étonnement ou de la surprise, l’admiration n’est pas cependant la même chose ; et que la volonté, pour être toujours une force, n’est, pas d’elle-même ni toujours une vertu ! […] Vous connaissez cette « cause célèbre » et si par hasard vous l’aviez oubliée, vous en retrouveriez au besoin l’émotion toute palpitante encore, dans les Lettres de Mme de Sévigné. […] Il ne vous paraîtra pas indifférent, après cela, de savoir que l’un et l’autre sujet sont empruntés de l’abbé de Saint-Réal, un historien romancier presque plus oublié lui-même que La Fosse et que Campistron, mais plus injustement peut-être.

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