L’éloquence et les discours de ces temps-là étaient donc bien loin d’avoir cette rudesse originale et forte, qu’il semblerait qu’on dut attendre au sortir des siècles de barbarie. […] Il n’en est pas de même, quand, chez un peuple, l’esprit d’imitation et un goût puisé chez les modèles, succèdent tout à coup et presque sans degrés à la barbarie : alors les écrivains n’ont ni la vigueur originale et brute dont ce goût d’imitation les éloigne, ni les beautés solides et vraies auxquelles ils n’ont pas eu le temps d’atteindre, et qui sont presque toujours le résultat de la philosophie et des passions mêlées ensemble.
Goncourt, si riche en recherches originales, mais si dépourvu d’esprit critique, et l’Étude sur Chateaubriand et son époque, de Sainte-Beuve, le fin et malicieux critique. […] La Décade philosophique (10 pluviôse an VII), après avoir constaté l’engouement pour les romans anglais, ajoutait, « nous pouvons affirmer que nous possédons en original et de notre propre cru des horreurs dont les plus difficiles peuvent se contenter, que nous ne manquons pas de personnages atroces, atrocement crayonnés, que nous avons des esprits corps, c’est-à-dire des fantômes qui n’en sont pas, heureuse invention par laquelle s’est éminemment distinguée mistress Radcliffe, que nous sommes riches en descriptions du soleil et de la lune, en sites romantiques, en événements romanesques, enfin que nous ne sommes pas moins experts que nos maîtres dans la science des longueurs et l’art de multiplier les volumes… On a réussi à naturaliser le spleen, on a essayé d’imiter l’humour ; mais il faut qu’il soit plus facile de faire du Radcliffe que du Sterne, je ne saurais du moins proclamer nos succès en ce genre, je dois me borner à dire que jusqu’ici on l’a seulement innocemment tenté ». […] Les romans psychologiques, qui prenaient pour modèle le puissant et original roman de Godwin, Caleb Williams, qui fut transporté sur la scène, et les romans sentimentaux, mis en vogue par Werther, commencèrent à pulluler. […] L’impatience du public était si vive, que Rosa ou la Fille mendiante, de Mme Bennett, se traduisait à Paris à mesure que les feuilles de l’original s’imprimaient à Londres (Décade, 20 brumaire an VI). […] L’engouement était inouï, les romans originaux français s’annonçaient comme des traductions de l’anglais, afin de réussir16.
Réja et son vocabulaire s’adaptent remarquablement à ce genre de littérature, et quand on s’y est habitué, ils aident à comprendre d’une façon définitive cette œuvre originale et considérable, pour laquelle Henri Héran a dessiné une superbe couverture.
Sa Traduction de Pétrone n’est qu’une paraphrase sans goût, sans élégance, qui ne conserve aucun des caracteres de l’original.