Je n’avais pas encore ouvert les yeux ; la sensation des objets présents n’avait pas fait son office, du moins elle ne l’avait fait que pour ranimer les souvenirs ordinaires et les jugements généraux ; c’étaient ces jugements et ces souvenirs qui, par la fixité de leur ordre et par la cohérence de leur groupe, avaient opéré la réduction nécessaire et vaincu la tendance naturelle par laquelle l’image nous fait illusion. […] Ce dernier fait était vrai. » L’idée de la chronologie et de l’ordre des siècles s’était effacée et ne faisait plus son office habituel. À chaque instant, les personnes d’imagination vive sont obligées de faire les réductions que ce vieillard ne faisait plus ; l’ordre général de leurs souvenirs, fortifié par l’adjonction de quelque remarque nouvelle, y suffit le plus souvent. […] Dès lors, les réducteurs du second ordre sont annulés aussi bien que le réducteur spécial ; l’image prépondérante, après avoir paralysé la sensation contradictoire des autres images normales, provoque les idées délirantes et les impulsions déraisonnables. […] Quelques jours après, je rêvais qu’en effet j’étais condamné à mort par ordre du ministre, sans avoir passé en jugement.
« Considérons maintenant un autre caractère général de notre expérience, qui est que, outre des groupes fixes, nous reconnaissons un ordre fixe dans nos sensations. C’est un ordre de succession, et, une fois établi par l’observation, il donne naissance aux idées de cause et d’effet… De quelle nature est cet ordre fixe de nos sensations ? […] Au lieu de concevoir le mouvement comme une série de sensations successives interposées entre les moments de départ et d’arrivée, il le conçoit alors comme une série d’états successifs interposés entre les moments de départ et d’arrivée ; par ce retranchement, l’espèce et la qualité des éléments qui composent la série sont omises ; il ne reste que leur nombre et leur ordre, et la notion s’applique non pas seulement aux corps sentants, mais à tous les corps. […] Si nous attribuons aux corps le mouvement, c’est après avoir dépouillé ses éléments de toute qualité humaine, après leur avoir ôté tous les caractères par lesquels ils étaient d’abord des sensations, en prenant soin de ne leur laisser que leur ordre relatif, leur position par rapport au moment initial et au moment final, leur succession plus ou moins prompte dans le même intervalle de temps. […] Dans la série des sensations musculaires successives qui composent une sensation totale de locomotion, dépouillez les sensations composantes de toute qualité et de toute différence intrinsèques ; considérez-les abstraitement, comme de purs événements successifs, déterminés seulement par leur ordre relatif dans la série, et par le temps total qu’ils emploient à se succéder dans cet ordre depuis le moment initial jusqu’au moment final ; c’est cette série abstraite qui constitue pour nous le mouvement de notre bras et que nous attribuons, par induction et analogie, à la pierre que notre main emporte avec elle. — Or, les éléments de cette série abstraite, étant ainsi amenés au maximum de simplicité possible, peuvent lire considérés comme des sensations élémentaires au maximum de simplicité possible.
Rousseau ou de Proudhon contre l’ordre social, un rêve de liberté absolue se faisant à elle-même sa propre législation par l’énergie du cœur et par la force du bras. […] Ses mains actives sont sans cesse à l’œuvre ; elle augmente par son esprit d’ordre le bien-être du ménage ; elle remplit de trésors les armoires odorantes, tourne le fil sur le fuseau, amasse dans des buffets soigneusement nettoyés la laine éblouissante, le lin blanc comme la neige ; elle joint l’élégant au solide et jamais ne se repose. […] « Ordre saint, enfant béni du Ciel, c’est toi qui formes de douces et libres unions ; c’est toi qui as jeté les fondements des villes ; c’est toi qui as fait sortir le sauvage farouche de ses forêts ; c’est toi qui, pénétrant dans la demeure des hommes, leur donnes des mœurs paisibles et le bien le plus précieux, l’amour de la patrie. […] Un jour qu’elle était chez le prince primat avec toutes les chanoinesses, portant le costume de son ordre, une robe à queue, un col blanc avec la croix d’ordonnance, quelqu’un fit la remarque qu’elle ressemblait à une apparition au milieu des autres dames, à un esprit qui allait s’évanouir dans l’air. […] Si c’est dans l’ordre philosophique et littéraire, comme Goethe ils conservent leur indépendance de pensée et leur originalité de conception à travers toutes les vagues passagères de la médiocrité subalterne et toutes les aberrations du mauvais goût ; si c’est dans l’ordre politique, comme le prince Talleyrand ils conservent et grandissent leur haute influence à travers tous les événements secondaires et tous les écroulements du siècle ; ils se servent des vagues pour exhausser, pour gouverner leur navire au lieu de s’y noyer avec l’équipage.
Par ordre de date il n’y a pas de puissance plus antique en Italie ; par ordre de services il n’y en a pas de plus italienne. […] Le plus grand exploit de leurs flottes signala cette époque pour Gênes : leur amiral Spinola anéantit dans le golfe de Gaëte la flotte des Espagnols, et fit prisonnier le roi Alfonse le Magnanime d’Aragon, ses deux frères, l’aîné roi de Navarre, l’autre grand maître de l’ordre militaire de Saint-Jacques, cinq mille marins et toute la noblesse d’Aragon. […] Sous cette demi-servitude, l’ordre s’y rétablit ; mais la décadence militaire et commerciale y commence. […] Les ordres monastiques, qui renaissent en Italie comme en Espagne de l’esprit contemplatif et de l’oisiveté endémique de ces beaux climats, reprenaient leur ascendant sur le peuple ; le gouvernement n’admettait dans les sujets aucune liberté des cultes. […] Si vous attaquez et que vous soyez vainqueur, si l’Italie assujettie par vous change la condition secondaire et non menaçante pour nous de votre monarchie de second ordre en un vaste empire italien pesant trop fort contre nous sur les Alpes, nous prendrons nos sûretés, nous vous en prévenons, en nous fortifiant nous-mêmes de la Savoie, du comté de Nice et au-delà peut-être.