L’artifice par lequel le vainqueur persuade le vaincu de se concevoir différent de lui-même c’est celui qui a été désigné comme le moyen ordinaire de tout Bovarysme : c’est l’éducation qui distribue la notion. […] Ce que l’on veut montrer ici, avec ces deux conceptions du droit de propriété et du lien familial, c’est d’une part, qu’elles admettent une construction parfaitement logique, qu’elles sont explicables par les mobiles les plus ordinaires de l’âme humaine, du point de vue de la croyance particulière que l’on a exposée sur le destin de l’homme, après la mort.
Thécla n’est point une jeune fille ordinaire, partagée entre l’inclination qu’elle ressent pour un jeune homme et sa soumission envers son père ; déguisant ou contenant le sentiment qui la domine, jusqu’à ce qu’elle ait obtenu le consentement de celui qui a le droit de disposer de sa main ; effrayée des obstacles qui menacent son bonheur ; enfin, éprouvant elle-même et donnant au spectateur une impression d’incertitude sur le résultat de son amour, et sur le parti qu’elle prendra si elle est trompée dans ses espérances. […] Sa voix si douce, à travers le bruit des armes ; sa forme délicate, au milieu de ces hommes tout couverts de fer ; la pureté de son âme, opposée à leurs calculs avides ; son calme céleste qui contraste avec leurs agitations, remplissent le spectateur d’une émotion constante et mélancolique, telle que ne la fait ressentir nulle tragédie ordinaire.
Il faut même leur rendre cette justice qu’ils poussent le scrupule jusqu’à ne pas mêler, d’ordinaire, à leur drame, un personnage étranger. […] L’existence ordinaire n’est ni interrompue ni troublée.
Ce qu’on étudie d’ordinaire sous ce nom est moins la pensée même qu’une imitation artificielle obtenue en composant ensemble des images et des idées. […] C’est quelque chose comme l’art du musicien ; mais ne croyez pas que la musique dont il s’agit ici s’adresse simplement à l’oreille, comme on se l’imagine d’ordinaire.