Et puis, elle sait trop que le rêve n’est qu’un rêve, le jeu d’un fantôme, une ombre vaine. […] Rome la conquiert, et non pas la Rome humaine, mais la ville, mais les pierres des chapelles, mais la flamme des cierges sous l’ombre froide des cryptes. […] Là dedans, un peu de rose tombe d’une arche de pont rouillée, et une ombre se noie, une grande ombre descendue du haut de Notre-Dame comme un grand manteau dégrafé qui glisserait par derrière… » Avec des répétitions, bleu et bleu, eau et eau, ombre et ombre, — avec des verbes et des adjectifs qui se raccordent les uns et les autres : déteint, décoloré, neutre, aveugle, tombe, se noie, — avec la décomposition du rapport entre l’épithète et le substantif : le luisant des parapets, — enfin avec l’allure de la période entière, agencée suivant les réflexions d’un art subtil, cette phrase arrive à rendre comme palpable une atmosphère où vibre une certaine lumière. […] C’est une atmosphère d’algèbre, en effet, noyée et confuse, où un esprit erre parmi des ombres, ombre lui-même, et ne vivant plus que pour raconter son impuissance à vivre. […] Comme nous le voyions s’agiter tout à l’heure parmi des ombres d’idées, nous l’apercevons s’attardant maintenant parmi des ombres d’émotions.
J’ai beaucoup aimé les poèmes d’André Magre, je les ai souvent relus et, dans ma mémoire, le livre fermé, chantent encore ces strophes d’une si délicieuse mélancolie : Tu viens, je te connais, ne me dis pas ton nom ; L’ombre est chaude, il fait bon rêver de mois de femme.
Ces poètes que nous avons connus vivants et que nous avons aimés, ils ont souffert, ils ont eu leurs fautes, leurs faiblesses, des plis à leurs ailes, leurs taches de poussière et leurs ombres ; ils se sont consumés sur le bûcher : il n’y a plus que la flamme qui monte. […] J’ai omis jusqu’ici, j’ai trop laissé dans l’ombre une partie bien essentielle d’elle et de son âme : c’était sa charité active pour tous les souffrants, les faibles, les vaincus, les prisonniers.
Ils n’ont pour fortune et pour joie Que les refrains de leurs couplets, L’ombre que la voile déploie, La brise que Dieu leur envoie, Et ce qui tombe des filets ! […] Non, ce n’est pas moi, et je suis si triste, si vraie, chère âme généreuse, que je ne mérite pas l’ombre de la moquerie, si innocente qu’elle soit de votre part.