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192. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

En ses meilleurs jours, il est pareil encore à ce pasteur de Sicile, dont il emprunte la chanson à Moschus, et auquel il se compare : si la mer est calme, le voilà qui convoite le départ et le voyage aux îles Fortunées ; mais, dès que le vent s’élève, il se reprend au rivage, à aimer les bruits du pin sonore et l’ombre sûre du vallon. […] Dégoûté encore une fois et de retour en France au printemps de 1792, il exhalait à l’ombre du bois de Romainville ses tristesses dernières, en des stances qui rappellent les plus doux accents de Chaulieu et de Fontanes ; elles sont peu connues, et la génération nouvelle voudra bien me pardonner de les citer assez au long, car ce qui est du cœur ne vieillit pas. […] C’est dans ces ombres tutélaires, C’est ici que je veux mourir !

193. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

La physionomie de la Faustin lui apparaît tantôt dessinée en ombres et méplats lumineux, par une lampe posée près de son lit, tantôt s’assombrissant, se creusant sous une émotion tragique : Subitement sur la figure riante de la Faustin, descendit la ténébreuse absorption du travail de la pensée ; de l’ombre emplit ses yeux demi-fermés ; sur son front, semblable au jeune et mol front d’un enfant qui étudie sa leçon, les protubérances, au-dessus des sourcils, semblèrent se gonfler sous l’effort de l’attention ; le long de ses tempes, de ses joues, il y eut le pâlissement imperceptible que ferait le froid d’un souffle, et le dessin de paroles, parlées en dedans, courut mêlé au vague sourire de ses lèvres entr’ouvertes. […] C’est comme une intimité physique et intellectuelle, dans une sorte de demi-teinte où les lueurs fugitives des reverbères passant par les portières, jouent dans l’ombre avec la femme, disputent à une obscurité délicieuse et irritante sa joue, son front, une fanfiole de sa toilette et vous montrent un instant son visage de ténèbres, aux yeux emplis d’une douce couleur de violette.

194. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

. — L’esprit de parti ne jette plus ni ombre, ni tache, ni prévention sur la page. […] As-tu vu l’ombre de ton aile, Beau cygne, caresser la fleur ? […] Nos deux ombres ne se mêlèrent pas sur la muraille du même salon. Quant à vous, jeune entre ces deux vieillards, serviteur empêché de ces deux faiblesses, vous me parûtes un jeune Grec dévoué par bon goût à la vieillesse et au génie, entre Platon vieilli et une belle ombre d’Athénienne, recueillant sur les lèvres d’un siècle mourant les traditions du passé et les secrets de l’avenir. […] Je ne pus le discerner ; je vous retrouvai plus retiré encore que jamais dans le même logement de philosophe sur un petit jardin, ombre de la campagne aux environs du Luxembourg, dans le sein de la même mère.

195. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Contre la fenêtre du fond, par où vient un jour crépusculaire de cinq heures, et à contre-jour, se tient une ombre grise sur cette lumière pâle, une femme qui ne se lève pas, reste immobile à notre salut de corps et de paroles. Cette ombre assise, à l’air ensommeillé, est Mme Sand, et l’homme qui nous a ouvert est le graveur Manceau. […] Une fenêtre éclairée et comme vivante au milieu des ténèbres, des cierges allumés, du blanc de rideaux et, sur les feux des cierges, des ombres qui passent, une ombre qui se penche : c’est l’Extrême-Onction qu’on donne à la malade : un mystère qui passerait sur une flamme. […] Dans l’air, dans la nuit, dans l’haleine de l’ombre, il y a un souffle qui s’exhale, une aile qui s’essaye. […] J’ai jeté la couverture sur le traversin, comme un drap sur l’ombre d’un mort.

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