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1233. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

La nouveauté de cette correspondance est la duchesse de Choiseul, que l’on connaissait déjà pour son mélange de grâce et de raison d’après les témoignages unanimes des contemporains, mais pas à ce degré où la montrent au naturel cette suite de lettres vives, spirituelles, sensées, sérieuses, raisonneuses même, passionnées dès qu’il s’agit de la gloire et des intérêts de son époux. […] » Elle ne se trompait qu’à demi ; la duchesse de Choiseul, communiquant plus tard ce même recueil de lettres à M. de Beausset (le futur cardinal), disait : « Les lettres de Mme du Deffand ont pour elles le charme du naturel ; les expressions les plus heureuses, et la profondeur du sentiment dans l’ennui. […] Si juste dans ses paroles, dans ses pensées ; si attentive, et d’un si bon naturel !

1234. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il comptait bien d’ailleurs, l’épicurien et le raffiné, ne parler que pour une élite ; il a lâché son mot dans une lettre à Thomas Moore ; il n’écrit, dit-il, que pour un petit nombre d’élus, « happy few très-fâché que le reste de la canaille humaine (c’est son mot) lise ses rêveries. » Depuis Siéyès et l’avénement de la démocratie, pensait-il encore, il n’y a plus que l’aristocratie littéraire qui ose aimer les phrases simples et les pensées naturelles : il entendait bien rester de cette aristocratie ; et il narguait le reste du monde qui se prend au bombast, au bouffi et au fardé en tout genre. […] À la longue et à force d’habiter l’Italie, il perdit un peu l’air de France et le fil des idées du temps ; à force de craindre la pédanterie, il en contracta une d’une espèce particulière : c’était de vouloir être plus vif que nature et de professer le naturel en des termes qui semblaient un peu cherchés. […] Delécluze ouÉtienne, qui a passé sa vie à se croire classique et à défendre plus ou moins l’orthodoxie en littérature ou en art, serait, à cette heure-ci, rejeté de tous les classiques, s’il y en avait encore, et au nom même de ce qu’il a professé : je ne lui vois d’asile et de refuge à espérer que in partibus infidelium, parmi ceux qu’il a tant conspués, et qui l’accueillent volontiers, qui lui font place, en faveur d’un joli roman naturel, de quelques dessins vrais et frappants, de quelques descriptions fidèles et qui ont le cachet de leur date : Mademoiselle de Liron, son chef-d’œuvre, l’Atelier de David, et quelques pages et portraits des Souvenirs.

1235. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Elle semble heureusement née pour habiter la campagne, tant son être« s’harmonise avec les fleurs, les oiseaux, les bois, l’air, le ciel, tout ce qui vit dehors, grandes ou gracieuses œuvres de Dieu. » Elle aussi, comme Bernardin de Saint-Pierre, elle a le sens des symboles naturels ; la vie sous toutes ses formes lui parle ; elle est femme à voir des mondes dans un fraisier : « Mon ami, je suis ce fraisier en rapport avec la terre, avec l’air, avec le ciel, avec les oiseaux, avec tant de choses visibles et invisibles que je n’aurais jamais fini si je me mettais à me décrire, sans compter ce qui vit aux replis du cœur, comme ces insectes qui logent dans l’épaisseur d’une feuille. » Toutes les saisons de l’année, toutes les heures de la journée ont pour elle leur charme particulier et leur langage. […] Que ce soit la couleur du temps, le loquet d’une porte, un vieux château qu’elle visite, ou l’une quelconque des fêtes et, cérémonies rurales, le baptême ou la fonte d’une cloche, la bénédiction des bestiaux, la messe de Noël où elle se rend en famille à minuit « par des chemins bordés de petits buissons blancs de givre, comme s’ils étaient fleuris », elle trouve sur tous ces thèmes fortuits ou naturels des pensées charmantes, légères et célestes, dignes d’une Cymodocée chrétienne. […] mais on a parlé de classique dernièrement à propos des écrits d’une dame russe fort vantée, et j’ai protesté contre cette manière d’éloge : Mme Swetchine, avec tout son esprit, ne saurait, en effet, être appareillée aux véritables classiques, même en matière de spiritualité ; celle qui mériterait véritablement ce nom par la grâce du tour, la correction du trait, le naturel et la propriété des images, la simplicité (au moins relative) des pensées, ce serait Mlle Eugénie de Guérin, si elle avait fait un livre.

1236. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

» Mais quand il lui parlait avec cette effusion, avec ce naturel d’un amant artiste et philosophe, la grande dame en elle se réveillait avec ses hauteurs ; elle parlait avec dédain de ces filles du peuple comme ignorant le noble et le fin de la passion. […] Il perd ses raisons à la réfuter ; il en a pourtant de bien naturelles et d’insinuantes, où il entre du cœur et de l’esprit : « Ce sont là des paradoxes, ne cesse-t-il de lui répéter à propos de ces grands axiomes de tristesse ; je ne crois pas au triste. […] » Il y a un jour, un jour unique où ce nuage noir de Marie semble s’être dissipé, où il lui échappe de dire qu’elle veut être aimée tout bonnement « pour tout ce que Mme Denis regrette » ; mais ce mot naturel, ce mot que Michel appelle adorable, comme elle le reprend et le retire !

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