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1728. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

En voyant ces purs esprits sans cesse plongés dans la plus profonde contemplation, à l’ombre de ces arbres immortels ; tantôt occupés à se purifier dans une eau limpide et toute brillante de la poussière dorée du nénuphar sacré ; tantôt ravis en extase au sein de ces grottes silencieuses ornées par la nature elle-même de roches étincelantes, je m’écrie : « Oui ! […] C’est la règle inventée par la nature, et non par Aristote ; elle a passé des Indes à la Grèce, de la Grèce à Rome, de Rome à nous. […] Quant à Bavahbouti, majestueux, grand, élevé comme ces forêts du Gondwana, dont l’ombre terrible se balança sur son berceau, vous le diriez sorti des mains de la nature, comme le Moïse de Michel-Ange s’élança de la pensée du sculpteur. […] » On voit, à ces pittoresques descriptions de la nature opulente et majestueuse de l’Inde, des arbres, des ondes, des animaux, que le sentiment du paysage dans la poésie, et de la mélancolie dans l’âme, ne sont point, comme on le dit, des inventions récentes de notre poésie, mais que la plus haute antiquité sentait et exprimait avec la même force l’œuvre de Dieu et le cœur de l’homme. […] Sur leurs corps la nature a mis des signes de grandeur, pareils à ces rayons de lumière qui sont dans la pierre précieuse, ou bien à ces gouttes de nectar qui se trouvent dans le calice de l’aimable lotus.

1729. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Quoi qu’il en soit, une théorie de la fausse reconnaissance doit répondre en même temps aux deux exigences que nous venons de formuler, et ces deux exigences apparaîtront comme inconciliables, croyons-nous, tant qu’on n’aura pas approfondi, du point de vue purement psychologique, la nature du souvenir normal. […] Toutefois, le philosophe peut se demander si, dans le domaine de l’esprit, la maladie et la dégénérescence sont réellement capables de créer quelque chose, et si les caractères positifs en apparence, qui donnent ici au phénomène anormal un aspect de nouveauté, ne se réduiraient pas, quand on en approfondit la nature, à un vide intérieur, à un déficit du phénomène normal. […] À vrai dire, quand nous parlons de nos souvenirs, nous pensons à quelque chose que notre conscience possède ou qu’elle peut toujours rattraper, pour ainsi dire, en tirant à elle le fil qu’elle tient : le souvenir va et vient, en effet, du conscient à l’inconscient, et la transition entre les deux états est si continue, la limite si peu marquée, que nous n’avons aucun droit de supposer entre eux une différence radicale de nature. […] Entre la perception et le souvenir il y aurait une différence d’intensité ou de degré, mais non pas de nature. […] Écartons cette dialectique naturelle à notre intelligence, commode pour le langage, indispensable peut-être à la pratique, mais non pas suggérée par l’observation intérieure : le souvenir apparaît comme doublant à tout instant la perception, naissant avec elle, se développant en même temps qu’elle, et lui survivant, précisément parce qu’il est d’une autre nature qu’elle.

1730. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Il disait à la nature, à la mort : « Encore un jour !  […] La nature nous le devrait. […] Pour certains, c’est une seconde nature. […] Je doute que la religion de la nature devienne jamais la religion de l’humanité. […] Il faut agir conformément à la nature, comme disaient les stoïciens, en un tout autre sens.

1731. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Cela bien entendu, elle veut le vrai dans l’éducation dès le bas âge : « Point de contes aux enfants, point en faire accroire ; leur donner les choses pour ce qu’elles sont. » — « Ne leur faire jamais d’histoires dont il faille les désabuser quand elles ont de la raison, mais leur donner le vrai comme vrai, le faux comme faux. » — « Il faut parler à une fille de sept ans aussi raisonnablement qu’à une de vingt ans. » — « Il faut entrer dans les divertissements des enfants, mais il ne faut jamais s’accommoder à eux par un langage enfantin, ni par des manières puériles ; on doit, au contraire, les élever à soi en leur parlant toujours raisonnablement ; en un mot, on ne peut être ni trop ni trop tôt raisonnable. » — « Il n’y a que les moyens raisonnables qui réussissent. » — Elle le redit en cent façons : « Il ne leur faut donner que ce qui leur sera toujours bon, religion, raison, vérité. » Dans un siècle où sa jeunesse pauvre et souriante avait vu se jouer tant de folies, tant de passions et d’aventures, suivies d’éclatants désastres et de repentirs ; où les romans des Scudéry avaient occupé tous les loisirs et raffiné les sentiments, où les héros chevaleresques de Corneille avaient monté bien des têtes ; où les plus ravissantes beautés avaient fait leur idéal des guerres civiles, et où les plus sages rêvaient un parfait amour ; dans cet âge des Longueville, des La Vallière et des La Fayette (celle-ci, la plus raisonnable de toutes, créant sa Princesse de Clèves), Mme de Maintenon avait constamment résisté à ces embellissements de la vérité et à ces enchantements de la vie ; elle avait gardé son cœur net, sa raison saine, ou elle l’avait aussitôt purgée des influences passagères : il ne s’était point logé dans cette tête excellente un coin de roman. « Il faut leur apprendre à aimer raisonnablement, disait-elle de ses filles adoptives, comme on leur apprend autre chose. » Et de plus, cette ancienne amie de Ninon savait le mal et la corruption facile de la nature ; elle avait vu de bien près, dans un temps, ce qu’elle n’avait point partagé ; ou si elle avait été effleurée un moment, peu nous importe, elle n’en était restée que mieux avertie et plus sévère. L’expérience lui avait inculqué pour principe « qu’on ne peut trop compter sur la faiblesse humaine. » Elle se méfiait, elle savait que tout se gâte vite et se dérange dans les éducations les plus admirées comme dans les natures les plus innocentes, dès qu’on cesse de veiller jour et nuit. […] je le croirais volontiers ; mais ne serait-ce point aussi chez elle un peu de nature qui manque, un peu de tendresse qu’on voudrait dans cette raison, et sans prétendre certes diminuer en rien le christianisme qui la règle et l’accompagne ?

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