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1225. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « CHRISTEL » pp. 515-533

Elle fut bientôt connue et respectée de ces gens des environs, bien qu’ils fussent d’une fibre en général ingrate, d’une nature revêche et dure. […] Fille simple, généreuse, capable de tous les devoirs et de tous les sacrifices, elle avait un fonds de distinction originelle, plus d’une goutte de sang des nobles aïeux de sa mère, qui se mêlait, sans s’y perdre, à toutes les franchises d’une nature ingénue et aux justes notions d’une éducation saine. […] Si elle avait pu, du moins, sortir, se distraire par le monde, vivre de la vie de bal et s’étourdir comme la plus frivole dans le tourbillon insensé, ou mieux, s’échapper et courir par les bois, biche légère, et chercher, s’il en est, le dictame dans les antres secrets, au sein de la nature éternelle ! […] trop muette) de Christel, eût été agréable et riante l’été, devant cette nature bocagère, près de ces hôtes chéris : Hervé se le disait pour la première fois aux premières neiges. […] D’autres fois, tu t’attaques lentement et d’une ruine continue à l’enveloppe en même temps qu’au fond, tu opères degré par degré l’œuvre de destruction dans les plus florissantes natures, tu y ravages tout avec un art cruel avant de frapper le dernier coup au cœur : une vieillesse comme centenaire est empreinte sur des visages de vingt ans.

1226. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

J’en vois de deux sortes : celles qu’on dit, et celles qu’on ne dit pas. » La première raison que l’on dit, c’est qu’il est impossible que Dieu semble faire violence à la nature humaine et contraindre ses plus légitimes instincts. […] ne dites pas que la confession est inhumaine et contre nature, puisque toute nature honnête encore dans ses instincts la recherche spontanément ! […] » Elle est donc tour à tour contraire ou conforme à la nature, selon les besoins de la cause ! […] » sans que le poids douloureux de sa nature l’incline vers la miséricorde.

1227. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Le plan qu’elle imaginait était sérieux et beau, mais l’éducation qu’elle se donna, ou plutôt qu’elle ne dut qu’à la nature et à l’expérience, fit d’elle une personne plus originale et plus à part. […] Nature ardente sous ses airs de sécheresse, elle voulait repousser ce mortel ennui à tout prix ; il semblait qu’elle portât en elle je ne sais quel instinct qui cherchait vainement son objet. […] Nous touchons là le point profondément douloureux de cette nature qu’on a crue sèche et qui ne l’était pas. […] Je vous avoue qu’au sortir de là, si j’avais su où vous trouver, j’aurais été vous chercher ; il faisait le plus beau temps du monde, la lune était belle… On peut juger si Mme Du Deffand le plaisante sur cette lune ; elle réduit cet éclair de sentiment à sa juste valeur, et, tout en essayant de lui dire quelques paroles aimables elle livre la clef de sa propre nature au physique et au moral. […] Beaucoup de ces passions singulières et bizarres, où la sensibilité s’abuse, ne sont souvent ainsi que des revanches de la nature qui nous punit de n’avoir pas fait les choses simples en leur saison.

1228. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

En lisant ces lettres de Mme de Staal à Mme Du Deffand, on ne peut s’empêcher pourtant de remarquer, au milieu de cette société la plus civilisée et la plus douce en apparence, de quelle nature triste est cette gaieté dénigrante de deux femmes qui s’ennuient, quel vide intellectuel et moral suppose une telle médisance plus désœuvrée encore que méchante, quelle sécheresse amère et stérile ! […]  » Voltaire continue en Hollande de faire des imprudences et d’obéir à sa nature ; il envoie au prince royal de Prusse (qui va être le grand Frédéric) un manuscrit sur la Métaphysique, et cette Métaphysique, si elle s’imprime, est de telle sorte qu’elle peut perdre à jamais son homme. […] Au fond, il aime mieux (et elle le sait bien) donner jour à sa Métaphysique et la produire en lumière, que de la sacrifier sans bruit à l’amour et au bon sens : c’est bien là l’homme de lettres dans sa vérité de nature. […] Simonide le disait mieux dans des vers dont voici le sens : « La santé est le premier des biens pour l’homme mortel ; le second, c’est d’être beau de nature ; le troisième, c’est d’être riche sans fraude ; et le quatrième, c’est d’être dans la fleur de jeunesse entre amis. » Ces traités où la théorie s’évertue à démontrer les machines et les industries de détail du bonheur, et à inventer à grande peine ce qui naît de soi-même dans la saison, me rappellent encore un joli mot de d’Alembert, et qui ne sent pas trop le géomètre : « La philosophie s’est donné bien de la peine, dit-il, pour faire des traités de la vieillesse et de l’amitié, parce que la nature fait toute seule les traités de la jeunesse et de l’amour. » Il est pourtant des endroits bien sentis dans le traité de Mme du Châtelet : elle y parle dignement de l’étude, qui, « de toutes les passions, est celle qui contribue le plus à notre bonheur ; car c’est celle de toutes qui le fait le moins dépendre des autres ».

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