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13. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

Il a tiré son marquis de Grignan de sa poussière de marquis, et il nous a montré le rien historique de cet homme, qui ne fut rien par lui-même, quoique par sa naissance, son éducation, tout son être, et par la plénitude de son dévouement au roi du monde d’alors, il fût parfaitement apte à être tout, et qui vécut si peu, a dit éloquemment Frédéric Masson dans les admirables pages qui commencent son livre, qu’on ne peut pas dire qu’il mourut, mais qu’il décéda : une manière silencieuse de s’en aller et de disparaître ! […] chose capitale ès royaumes de France et de Navarre, où la noblesse devait danser pour le plaisir du roi, comme elle devait monter à cheval et se battre, et même mourir pour son service ! […] Comme lui, à dix-sept ans, ils étaient déjà tout prêts pour la bataille et assez vieux pour se battre et mourir ! […] ils devenaient mestres de camp, brigadiers, généraux, illustrés finalement d’un coup de canon qui les coupait en deux, s’ils ne mouraient pas comme lui, ce pauvre Grignan, obscurément et bêtement de la petite vérole dans quelque ville de garnison ! […] Ce royalisme qu’aucune royauté, hors de France, n’inspira avec la même force et avec le même enthousiasme, non seulement mourait pour le roi, mais se ruinait pour le roi, — une manière de mourir plus terrible pour ces orgueilleux et ces puissants que de tout simplement mourir !

14. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Le jour où les poètes ne se considéreront plus que comme des ciseleurs de petites coupes en or faux, où on ne trouvera même pas à boire une seule pensée, la poésie n’aura plus d’elle-même que la forme et l’ombre, le corps sans l’âme : elle sera morte. […] — Ne dois-je pas mourir ?  […] … Marchant à la mort, il meurt à chaque pas Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père ; Il meurt dans ce qu’il pleure et dans ce qu’il espère ; Et, sans parler du corps qu’il faut ensevelir, Qu’est-ce donc qu’oublier, si ce n’est pas mourir ? […] C’est plus que mourir ; c’est survivre à soi-même. […] Et n’a renié sans mentir, Réponds-moi, toi qui m’as fait naître, Et demain me feras mourir !

15. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Tôt ou tard, il faut que le poète meure. […] heureusement pour elle que mademoiselle Mars était morte ! […] Si bien qu’elle se cacha pour mourir. […] Elle est donc morte tout à fait, cette personne illustre qui était morte une première fois, quand elle nous fit ses derniers adieux dans ses deux rôles qui étaient ses deux chefs-d’œuvre. […] Les comédiens, les chanteurs, les belles personnes, race passagère et périssable, meurent deux fois Ainsi meurent les grands orateurs et les plus habiles écrivains de la presse (Armand Carrel !

16. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Nous ne croyons que ce qui se prouve, nous ne sentons que ce qui se touche ; la poésie est morte avec le spiritualisme dont elle était née ; et ils disaient vrai ; elle était morte dans leurs âmes, morte dans leurs intelligences, morte en eux et autour d’eux. […] La poésie n’était donc pas morte dans les âmes comme on le disait dans ces années de scepticisme et d’algèbre, et puisqu’elle n’est pas morte à cette époque, elle ne meurt jamais. Tant que l’homme ne mourra pas lui-même, la plus belle faculté de l’homme peut-elle mourir ? […] Mais sera-t-elle morte pour être plus vraie, plus sincère, plus réelle qu’elle ne le fut jamais ? […] Non, sans doute, rien ne meurt dans l’ordre éternel des choses, tout se transforme : la poésie est l’ange gardien de l’humanité à tous ses âges.

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