L’article Buffon par Cuvier, qui se lit dans la Biographie universelle, ne saurait non plus s’omettre ; chaque mot y a sa mesure et son poids. […] Malgré cet exemple, je crois que j’agirai différemment, et que je ne répondrai pas un seul mot. […] « Il n’a pas mis dans ses ouvrages un seul mot dont il ne pût rendre compte. » On voit, d’après une critique qu’il fit en causant d’un écrit de Thomas, ce qu’il entendait par ces petits mots, par ces liens naturels et ces nuances graduées du discours, et quelle finesse de goût il y apportait. […] En général, Buffon peint la nature sous tous les points de vue qui peuvent élever l’âme, qui peuvent l’agrandir, la rasséréner et la calmer ; il aime d’un mot à tout ramener à l’homme ; il a de la volupté souvent dans le pinceau, mais il n’a pas cette sensibilité où Rousseau et d’autres excelleront : Buffon est un génie qui manque d’attendrissement.
En un mot, La Dot de Suzette n’est pas un chef-d’œuvre, mais ç’a été un très agréable livre à son moment. […] Fiévée par ses adversaires politiques et constitutionnels d’alors, il faisait remarquer qu’il n’avait jamais vanté le gouvernement militaire, mais l’esprit militaire, ce qui était bien différent, et il se couvrait du mot de M. de Bonald : « Les nations finissent dans les boudoirs, elles recommencent dans les camps40. » Bien qu’il ne fût qu’une seule fois nommé dans cette brochure, Bonaparte sentit bien qu’elle lui était tout entière dédiée ; il fit venir aux Tuileries M. […] Il se souvint de ce mot profond du cardinal de Retz, « qu’il faut souvent changer d’opinion pour rester toujours de son parti ». […] Il essayait, il trouvait sur la situation quantité de mot fins, épigrammatiques, de ces définitions commodes et vives qui circulaient et qu’on répétait ensuite, qu’il répétait lui-même. […] Il avait besoin tous les matins d’avoir son avis, son mot sur les choses, et de le dire : c’est comme le thermomètre qui ne peut s’empêcher de marquer la température.
« J’ai souvent remarqué avec étonnement, dit encore Mme de Motteville, que dans ses jeux et dans ses divertissements ce prince ne riait guère. » On a une lettre par laquelle il demande au duc de Parme (5 juillet 1661) de lui faire venir un Arlequin pour sa troupe italienne : il le demande dans les termes du plus grand sérieux, et sans le moindre petit mot de gaieté. […] Le pitoyable Louis XV, qui ne manquait pas d’esprit et dont on cite quelques mots piquants, avait dans l’habitude de la conversation des longueurs sans fin et du rabâchage ; c’était le style bourbonien dans ce qui était déjà son affaiblissement et son ramollissement. […] Ce discours nous livre à nu Louis XIV jeune, dans son premier appareil d’ambition : « Il me semble, dit-il, qu’on m’ôte de ma gloire quand on en peut avoir sans moi. » Ce mot de gloire revient à chaque instant dans sa bouche, et il finit lui-même par s’en apercevoir : « Mais il me siérait mal de parler plus longtemps de ma gloire devant ceux qui en sont témoins. » Dans cette exaltation et ce commencement d’apothéose où on le surprend, on le trouve pourtant meilleur et valant mieux que plus tard : il a quelques mots de sympathie pour les amis, pour les serviteurs qui s’exposent et se dévouent sous ses yeux : « Il n’y a point de roi, dit-il, pour peu qu’il ait le cœur bien fait, qui voie tant de braves gens faire litière de leur vie pour son service, et qui puisse demeurer les bras croisés. » C’est pourquoi il s’est décidé à sortir de la tranchée et à rester exposé au feu à découvert : dans une occasion surtout, dit-il, « où toutes les apparences sont que l’on verra quelque belle action, et où ma présence fait tout, j’ai cru que je devais faire voir en plein jour quelque chose de plus qu’une vaillance enterrée ». […] [NdA] En réimprimant cette étude, le mot de La Bruyère m’est souvent revenu à la mémoire : « Le caractère des Français demande du sérieux dans le souverain. » l.
Franklin est un des hommes les mieux nommés, et qui a le plus justifié son nom ; car ce mot de Franklin signifiait primitivement un homme libre, un franc-tenancier, jouissant dans un petit domaine à lui de la vie naturelle et rurale. […] Je n’ai jamais vu un décisionnaire si universel. » Franklin était tout le contraire de cet homme-là ; il avait fini par supprimer dans son vocabulaire ces mots certainement, indubitablement : J’adoptai en place, dit-il, je conçois, je présume, j’imagine que telle chose est ainsi ou ainsi ; ou bien : cela me paraît ainsi quant à présent. […] En un mot, je crois qu’il est impossible qu’un homme, eût-il toute la ruse d’un démon, puisse vivre et mourir comme un misérable, et pourtant le cacher si bien qu’il emporte au tombeau la réputation d’un honnête homme. […] Ses compatriotes le savaient bien, et, lorsqu’on leur proposait quelque nouvelle entreprise par souscription, le premier mot était : « Avez-vous consulté Franklin ? […] Franklin imagina un moyen de le gagner sans sollicitation ni bassesse, et ce moyen, ce fut de se faire rendre un petit service par lui : Ayant appris, dit-il, qu’il avait dans sa bibliothèque un certain livre très rare et curieux, je lui écrivis un mot où je lui exprimais mon désir de parcourir ce volume, et où je demandais qu’il me fît la faveur de me le prêter pour peu de jours : il me l’envoya immédiatement, et je le lui renvoyai au bout d’une semaine avec un autre billet qui lui exprimait vivement ma reconnaissance pour cette faveur.