Suivant, comme il dit, son « ver coquin », il a tous les bénéfices comme tous les défauts de l’inspiration : le mot hardi, imprévu, éclatant, l’image riche, inoubliable, un cours naturel et aisé de langage, qui enregistre toutes les inégalités de la pensée. […] Régnier prend les mots de tout le monde, et quoi qu’il reproche à Malherbe, il fuit moins que lui ceux des crocheteurs. Comme Montaigne, il puise à la source commune et populaire : néologismes, mots savants, mots de terroir, ou de carrefour, ou de cour, tout lui est bon, pourvu qu’il le tienne de l’usage. […] Il affectait de ne voir en Malherbe qu’un regratteur de mots et syllabes ; il lui reprochait de faire de la poésie une coquette fardée : il s’imaginait que Ronsard et Desportes, c’était le beau naturel, facile et nu ! […] Deux œuvres mettent alors en lumière l’avortement du genre historique : d’abord l’admirable corps d’Histoires du président de Thou259, si exact, si informé, si impartial, et qui, écrivant en latin avec les mots et la couleur de Tite-Live, n’arrive qu’à faire un pastiche ; en second lieu la célèbre Histoire Romaine de M.
C’est en matière de goût, de préférences, de prédilections qu’on peut répéter le mot de Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées ! […] Sa devise est le mot connu : « Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux. » A son esprit doivent toujours être présentes ces paroles que deux grands écrivains n’ont pas craint d’émettre, alors que l’autorité, même en matière littéraire, s’affirmait avec énergie. […] Il convient avant tout de donner au mot de moralité l’extension large qu’il doit avoir. […] En un mot, le génie complet est puissance et harmonie, le génie partiel est ou puissance ou harmonie. » La formule à laquelle nous aboutissons dit la même chose en termes plus précis. […] D’abord une œuvre qui sait puissamment éveiller ou exprimer des sensations par des mots peut valoir beaucoup mieux qu’une œuvre qui exprime ou éveille médiocrement des idées.
Mais je profiterai avec plaisir de la circonstance pour redire mon mot sur Diderot au point de vue littéraire et moral, qui est celui que nous affectionnons. […] En un mot, et avant son mariage (un mariage d’amour qu’il fit à trente ans), et encore après, Diderot continua trop de mener cette vie de hasard, d’occasion, d’expédients, de labeur et d’improvisation continuelle. […] Mais si cette pêche était bien offerte, si la lumière y tombait d’une certaine façon, si l’expression de la nymphe y répondait, si en un mot le tableau était d’un Titien ou d’un Véronèse, cette pêche-là aurait pu être un chef-d’œuvre, malgré la sottise que l’esprit croit y apercevoir ; car ici, dans un tableau, le récit des aventures qu’on n’entend pas, et que l’offre de la pêche court risque d’interrompre, n’est que très secondaire ; nous n’avons que faire de nos oreilles, et nous sommes tout yeux. […] il y a toujours un peu de complaisance à employer ce mot avec Diderot. […] C’est le cas, ou jamais, je le crois, d’appliquer ce mot que le chevalier de Chastellux disait à propos d’une autre production de Diderot, et qui peut se redire plus ou moins de presque tous ses ouvrages : « Ce sont des idées qui se sont enivrées, et qui se sont mises à courir les unes après les autres. » Diderot vieillissant se demandait s’il avait bien employé sa vie et s’il ne l’avait point dissipée.
Le grand Corneille, à travers ses hautes qualités, avait, je ne dirai pas beaucoup d’esprit, mais prodigieusement de bel esprit ; quand ils ne sont point passionnés et grandioses, et même alors, une fois que leur mot sublime est lâché, ses personnages continuent de raisonner, et ils le font avec subtilité et à outrance ; ils parlent de tête ; le cerveau chez eux prend la place du cœur ; ils raffinent et quintessencient les idées et les choses. […] Fontenelle a une singulière façon de raisonner de la galanterie, d’en deviser, de la déduire fil à fil, par le menu, d’en expliquer l’économie et le ménage (c’est bien le mot qu’il emploie). […] On n’a jamais mieux compris qu’en lisant les premiers écrits de Fontenelle ce mot de Vauvenargues : « Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût. » Fontenelle manque de goût avec tout l’esprit du monde, parce que le cœur et l’âme sont absents et muets en lui, parce que le pectus et l’affectus (comme diraient les anciens) ne lui parlent jamais. […] Quand il causait, c’était cette épigramme qu’il semblait attendre toujours des autres et qu’il trouvait tout d’abord le plus souvent ; c’est l’homme dont on a cité le plus de jolis mots. […] Cherchez ailleurs vos philosophes. » Pourtant il serait bien fâché qu’on le prît au mot, car c’est précisément dans ce mélange de philosophie, de physique et de galanterie qu’il va exceller.