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304. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Même quand on s’est bien représenté ce que c’est que la morale moyenne du xvie  siècle avec toutes les perfidies et les atrocités qu’elle tolère, on est à peine préparé. […] Ici encore, non pas pour excuser, mais pour expliquer Marie Stuart, on a besoin de se représenter la morale du temps : bon nombre des mêmes seigneurs qui avaient pris part au meurtre de Riccio, et qui s’étaient ligués de fait et par écrit, s’offrirent à elle et, pour rentrer en grâce, lui firent entrevoir le moyen de se débarrasser d’un époux à charge et trop importun. […] Que reprocher d’ailleurs à celle qui, après dix-neuf ans de supplice et de torture morale, dans la nuit qui précéda sa mort, chercha dans la vie des saints, que ses filles avaient coutume de lui lire tous les soirs, un grand coupable à qui Dieu eût pardonné ? […] Au sortir, pourtant, de ce brillant et orageux épisode de l’histoire du xvie  siècle, qui vient de nous être si fortement et si judicieusement rendu, tout plein encore de ces temps de violence, de trahison et d’iniquité, et sans avoir l’innocence de croire que l’humanité en ait fini à jamais avec de tels actes, on se prend à se féliciter malgré tout, à se réjouir de vivre en des âges d’une morale publique améliorée et plus adoucie ; on s’écrie avec le sieur de Tavannes, au moment où dans ses Mémoires il vient de raconter cette vie et cette mort de Marie Stuart : « Heureux qui vit sous un État certain, où le bien et le mal sont salariés et châtiés selon les mérites !… » Heureux les temps et les sociétés où une certaine morale générale et un respect humain de l’opinion, où le Code pénal aussi, mais surtout le contrôle continuel de la publicité, interdisent, même aux plus hardis, ces résolutions criminelles que chaque cœur humain, s’il est livré à lui-même, est toujours tenté d’engendrer !

305. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Homme unique dans l’histoire jusqu’à ce jour, homme de gouvernement, de pouvoir, de direction nationale et sociale, et en même temps homme de liberté, d’une intégrité morale inaltérable. […] Plus il y a grand nombre, et moins il y a chance à la lutte de la volonté morale contre le penchant, plus il y a fatalité et triomphe de la force naturelle. […] Le premier obstacle était dans la morale même qu’il professait, dans son respect pour la liberté d’autrui, dans l’idée la plus fondamentale et la plus sacrée de sa politique. […] — C’est ainsi que son expérience acquise se concilia du mieux qu’elle put avec son inaltérable faculté d’espérer et avec sa foi morale et sociale persistante. […] Se rappeler la belle Épître morale de Pope sur le caractère des hommes, et le passage si vrai sur la passion maîtresse et dominante.

306. (1902) Le critique mort jeune

(Il est à propos de signaler ici que l’attitude sympathique de dilettante curieux de « dialectique morale », qu’avait autrefois M.  […] La morale, la politique de M.  […] Sa morale, pour tout dire d’un mot, est celle du catholicisme, et il la fonde sur les principes de cette religion. […] On dira d’elle ce qu’un autre conteur disait de son ouvrage : qu’il était plus fait « pour apprendre la morale du plaisir que pour procurer le plaisir de faire de la morale ». […] Rebell y a raconté l’histoire d’une de ces passions dont le professeur de morale de Triphème tâche de détourner ses élèves.

307. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Si bien que d’Eblis se croit obligé d’expier et s’en va… Sacrifices sur sacrifices : en voilà quatre bien comptés, et qui tous supposent le courage le plus héroïque dans la plus haute délicatesse morale. […] En somme, on ne peut dire que ce soient les croyances chrétiennes ou spiritualistes qui créent, et conservent seules la conscience morale : on dirait plus justement que c’est la conscience qui se crée ces appuis extérieurs. […] Feuillet affirme que, si Louis de Camors manque à l’honneur (c’est-à-dire au seul devoir qu’il reconnaisse), d’abord en trompant un homme qui doit lui être sacré, puis en épousant Mlle de Tècle sans quitter Mme de Campvallon, c’est que l’honneur n’est rien, est emporté par la passion comme une paille, quand il ne repose pas sur la morale, et sur la morale religieuse. […] Feuillet, par une singulière inconséquence, fait de M. de Camors la proie d’une de ces passions furieuses auxquelles un homme ne résiste guère, à moins d’une force morale que la foi ne donne pas, qu’elle peut seulement augmenter. […] Cette créature pourra fort bien n’être que modérément malfaisante ; car la bonne Nature a voulu qu’il y eût sur la terre, en dehors de toute morale, d’autres plaisirs que ceux des animaux de proie.

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