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1049. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

nécessairement du pathos, ma chère maman, si j’entreprenais la description du spectacle que nous eûmes alors sous les yeux (la chute du Niagara).. » Il ne laisse pas cependant de bien raconter ce qu’il voit et de s’en tirer fort convenablement avec sa sincérité d’impressions sans enluminure ; mais il reprend plus sûrement sa supériorité dès qu’intervient l’étude morale : l’esprit sain, juste, délicat, élevé, retrouve ses avantages. […] C’est que trente ans, en effet, sont un long intervalle, même dans la vie des nations : la constitution de l’atmosphère morale a le temps de s’y modifier. […] Il n’y pas eu pour Tocqueville, comme pour d’autres, émancipation complète, décisive, réaction violente contre son passé et séparation, avec déchirement, de la première souche morale et religieuse.

1050. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

« Quand je songe, écrivait-il à son ancien collègue, aux épreuves qu’une poignée d’aventuriers politiques ont fait subir à ce malheureux pays ; lorsque je pense qu’au sein de cette société riche et industrieuse on est parvenu à mettre, avec quelque apparence de probabilité, en doute l’existence même du droit de propriété ; quand je me rappelle ces choses, et que je me figure, comme cela est la vérité, l’espèce humaine composée en majorité d’âmes faibles, honnêtes et communes, je suis tenté d’excuser cette prodigieuse énervation morale dont nous sommes témoins, et de réserver toute mon irritation et tout mon mépris pour les intrigants et les fous qui ont jeté dans de telles extrémités notre pauvre pays. » C’était peut-être, il est vrai, pour consoler le chef de l’ancienne Opposition de gauche et le promoteur des fameux banquets qu’il écrivait de la sorte : quoi qu’il en soit, le philosophe est ici en défaut, et il paraît trop vite oublier ce qu’il a reconnu ailleurs, que ce ne sont pas les partis extrêmes qui ont renversé Louis-Philippe, mais que c’est la classe moyenne le jour où elle fit cause commune avec eux. […] Ici il n’y a pas de quoi s’offenser : c’est l’auteur même qui parle, qui se démontre, et la dissection ne porte que sur les procédés de l’intelligence ; ce que l’auteur ajoute sur sa disposition morale est digne de ce qui précède, et résume nettement sa profession de foi politique : « J’ai l’orgueil de croire que je suis plus propre que personne à apporter dans un pareil sujet une grande liberté d’esprit, et à y parler sans passion et sans réticence des hommes et des choses : car, quant aux hommes, quoiqu’ils aient vécu de notre temps, je suis sûr de n’avoir à leur égard ni amour ni haine ; et quant aux formes des choses qu’on nomme des constitutions, des lois, des dynasties, des classes, elles n’ont point, pour ainsi dire, je ne dirai pas de valeur, mais d’existence à mes yeux, indépendamment des effets qu’elles produisent. […] Je ne puis m’empêcher de croire qu’il existe pour nous beaucoup de points de contact et qu’une sorte d’intimité intellectuelle et morale ne tarderait pas à régner entre vous et moi, si nous avions l’occasion de nous mieux connaître.

1051. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Et comme en tout ceci il ne s’agit de donner tort à personne (ce qui serait puéril), mais seulement d’étudier à fond la situation morale d’une âme, je produirai la suite des passages qui ne laissent rien à désirer et qui sont comme la confession de La Mennais sur ce point capital et décisif de sa carrière. […] … » Or, maintenant, si j’ouvre le petit livre ne M. le pasteur Peyrat, j’y trouve le passage suivant : « Avec moi, M. de La Mennais ne se départait jamais de sa morale ascétique ni de son pseudo-christianisme incompatibles avec la société et l’univers (n’oublions pas que M.  […] Il y a dans la vie morale des grandes âmes ardentes de ces cris décisifs : il y a eu tel cri décisif dans la vie de Pascal ; il y a eu tel cri non moins décisif dans la vie de La Mennais, cri longtemps étouffé, mais nous venons de le surprendre.

1052. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il me reste à vous supplier de prendre sur vous mes vifs remerciements et mon respectueux refus ; c’est à votre adorable bonté que j’ai dû la distinction d’un homme illustre qui m’ignorait, et c’est à vous, madame, que mon âme demeure éternellement acquise. » Dans cette même lettre toutefois, sachant les démarches de Mme Récamier pour lui faire obtenir une pension régulière par l’entremise du vicomte de La Rochefoucauld, Mme Valmore ajoutait : « Je vous la devrai, madame, et avec joie, si quelque jour on accorde à votre demande ce dont vous ne me jugez pas indigne ; je voudrais avoir bien du talent pour justifier votre protection qui m’honore, et pour mériter l’encouragement vraiment littéraire que vous entrevoyez dans l’avenir ; je serai contente alors de l’obtenir de vous, et je n’aurai ni assez d’orgueil ni assez d’humilité pour m’y soustraire… » Mais lorsque cette petite pension fut obtenue, — une pension au nom du roi, — ce fut de la part de l’humble et généreux poète un sentiment de peine et de résistance morale à l’aller toucher. […] Mais la réalité, nous la voyons, et la beauté morale de sa nature s’y montre à nu en toute sincérité : « (8 août 1847)… Mon bon frère, ton ami Devrez80, qui, va partir pour nos chères Flandres, se charge avec plaisir de nos t’adresses et d’un petit paquet pour toi. […] Et à cet inappréciable attrait de réalité se joint ici une fleur de poésie et de sentiment, une délicatesse toute féminine de charité, une beauté morale ravissante, mais toute naturelle, toute humaine, sans rien d’ascétique et de forcé.

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