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1045. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

C’est là la morale de Descartes. […] Montaigne se plaît dans les vérités d’expérience, les dissemblances individuelles, les contradictions, les fluctuations de l’homme, les particularités et les bigarrures des opinions, des gouvernements, des polices, de la morale ; il cherche à son aise des faits vrais plutôt qu’il ne poursuit la vérité elle-même, pour y trouver une croyance et une règle. […] Tous les deux se prennent pour sujet de leurs méditations ; mais tandis que Descartes se cherche et s’étudie dans la partie de nous-mêmes qui dépend le moins des circonstances extérieures, et qui porte en elle-même la lumière par laquelle nous la connaissons, la raison, Montaigne se regarde dans toutes les manifestations de sa nature physique et morale, et dans sa raison ni plus ni moins curieusement que dans son humeur. […] Nous ne le disons pas seulement de ceux qui exposent dogmatiquement la vérité ; le mot s’applique à tous sans exception ; car, soit qu’ils tirent ou nous laissent tirer la morale des peintures qu’ils nous font de la vie, leur dessein d’exprimer la vérité et d’en persuader les autres hommes est si manifeste, qu’à moins d’une grande médiocrité d’esprit et de cœur, on éprouve les effets de cette autorité, et l’on fait le ferme propos d’y obtempérer.

1046. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Avec leur solidité morale inébranlable, ils étaient en tout le contraire de l’homme du Midi, du Napolitain, par exemple, pour qui tout brille et tout sonne. […] La peur de sembler un pharisien, l’idée, tout évangélique du reste, que l’immaculé a le droit d’être indulgent, la crainte de me tromper si, par hasard, tout ce que disent les professeurs de philosophie n’était pas vrai, ont donné à ma morale un air chancelant. […] Jésus, sur ce point, a été mon maître plus qu’on ne pense, Jésus, qui aime à provoquer, à narguer l’hypocrisie, et qui, par la parabole de l’Enfant prodigue, a posé la morale sur sa vraie base, la bonté du cœur, en ayant l’air d’en renverser les fondements. […] La vive répulsion morale que j’éprouvais, compliquée d’un changement total dans le régime et les habitudes, me donna le plus terrible accès de nostalgie.

1047. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

On dirait que toute la vie morale de la personne a cristallisé dans ce système. […] Une logique de moins en moins serrée, qui ressemble de plus en plus à la logique des songes, transporte la même relation dans des sphères de plus en plus hautes, entre des termes de plus en plus immatériels, un règlement administratif finissant par être à une loi naturelle ou morale, par exemple, ce que le vêtement confectionné est au corps qui vit. […] Quand nous ne voyons dans le corps vivant que grâce et souplesse, c’est que nous négligeons ce qu’il y a en lui de pesant, de résistant, de matériel enfin ; nous oublions sa matérialité pour ne penser qu’à sa vitalité, vitalité que notre imagination attribue au principe même de la vie intellectuelle et morale. […] Nous l’aurons surtout quand on nous montrera l’âme taquinée par les besoins du corps, — d’un côté la personnalité morale avec son énergie intelligemment variée, de l’autre le corps stupidement monotone, intervenant et interrompant avec son obstination de machine.

1048. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

C’est à ce genre de délivrance morale que les écrits de Roederer contribuèrent beaucoup. […] Le Journal de Paris dont il était propriétaire, ne suffisant point à son activité d’esprit, il entreprit en août 1796 la rédaction d’un recueil périodique qui paraissait tous les dix jours, sous le titre de Journal d’économie publique, de morale et de politique. […] C’est dans cette discussion du Code civil que Bonaparte, étonné de la force, de la logique et de l’activité de pensée, de la profonde science de Tronchet, jurisconsulte octogénaire, l’étonne bien plus lui-même par la sagacité de son analyse, par le sentiment de justice qui lui fait chercher la règle applicable à chaque cas particulier ; par ce respect pour l’utilité publique et pour la morale qui le fait poursuivre toutes les conséquences d’un principe de législation ; par cette sagesse d’esprit qui, après l’examen des choses, lui laisse encore le besoin de connaître l’opinion des hommes de quelque autorité, les exemples de quelque poids, la législation actuelle sur le point en question, la législation ancienne, celle du Code prussien, celle des Romains ; les motifs et les effets de toutes.

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