L’auteur, encore tout ému de sa chute et de l’ingratitude de l’Assemblée, ne prévoyant pas que, dans les malheurs qui s’apprêtent à fondre sur toutes les têtes, cette retraite prématurée deviendra pour lui un salut et un bienfait, l’auteur se laisse aller à toutes ses pensées ; il nous livre son âme au vif, toute saignante et gémissante ; il la montre dans sa sensibilité, dans ses étonnements, dans ses douleurs de tout genre, dans ses passions naturelles, honnêtes, droites, humaines et un peu débonnaires. […] Necker par lui-même nous montre encore quelques-unes de ces qualités, mais jointes à une personnalité excessive, non amère, plutôt naïve, surabondante dans l’expression de ses sentiments, et donnant jour, quand elle s’épanche, à toutes les sensibilités de l’homme privé, à toutes les faiblesses de l’homme public, Les infortunes des autres, celles surtout de son vertueux roi, vinrent un peu calmer les siennes, et, dans les années suivantes, il a retrouvé la mesure de sa pensée et la possession de sa plume quand il écrit. […] disait-il, tous les hommes sans doute sont égaux devant vous, lorsqu’ils communiquent avec votre bonté, lorsqu’ils vous adressent leurs plaintes, et lorsque leur bonheur occupe votre pensée ; mais, si vous avez permis qu’il y eût une image de vous sur la terre, si vous avez permis du moins à des êtres finis de s’élever jusqu’à la conception de votre existence éternelle, c’est à l’homme dans sa perfection que vous avez accordé cette précieuse prérogative ; c’est à l’homme parvenu par degrés à développer le beau système de ses facultés morales ; c’est à l’homme enfin, lorsqu’il se montre dans toute la gloire de son esprit.
Les préceptes que ce Rhéteur philosophe fournit sur le genre déliberatif, le démonstratif & le judiciaire ; la peinture qu’il fait des mœurs de chaque âge, de chaque état, de chaque condition, la maniere dont il explique les moyens d’exciter ou de calmer les passions ; les instructions qu’il donne par rapport aux preuves, aux caractères de la bonne élocution, au choix des mots, à la structure de la période, & à toute l’œconomie du discours oratoire, montre qu’il n’ignoroit rien de ce qui est essentiel à l’éloquence, & qu’il en avoit approfondi toutes les parties. […] Il lui choisit des maîtres vertueux & habiles ; il montre comment il faut lui enseigner les principes des langues, des sciences & des beaux arts. […] Mais dans d’autres endroits le Pere Rapin montre plus son érudition que la justesse de son esprit.
J’oubliais de dire que la partie la plus enfoncée montre l’intérieur d’une ville et quelques édifices particuliers. […] On ne donne pas plus d’expression, on ne montre pas mieux l’incertitude et l’effroi, on ne peint pas avec plus de vigueur, on ne fait rien de mieux que cet enfant qui est dans la demi-teinte penché sur elle. […] L’artiste s’y montre un homme et un homme qu’on n’attendait pas ; c’est sans contredit la meilleure de ses productions.
Il ne manque jamais de critiques circonspects qui sont gens, en vérité, à proclamer hautement un génie visible depuis dix ans ; ils tirent gravement leur montre et vous annoncent que le jour va paraître, quand il est déjà onze heures du matin. […] comme pour se rassurer dans les ténèbres et se fortifier contre lui-même ; vainement il montre de loin à son amie, dans le ciel sombre, la double étoile de l’Âme immortelle et de l’Éternité de Dieu ; vainement il fait agenouiller sa petite fille aînée devant le Père des hommes, et lui joint ses petites mains pour prier, et lui pose sur sa lèvre d’enfant le psaume enflammé du prophète : ni la Prière pour Tous si sublime, ni l’Aumône si chrétienne, ne peuvent couvrir l’amère réalité ; le poëte ne croit plus.