Depuis les Mémoires de Saint-Simon, qui ne s’attendait guère, le noble duc, à ces ovations finales de vaudeville (s’il l’avait su, de colère il en aurait suffoqué), jusqu’à ce qu’on appelle les Mémoires du duc de Richelieu et contre lesquels s’élevait si moralement Chamfort, plus que rongé pourtant des mêmes vices ; dans toutes ces pages on taille aujourd’hui à plaisir, on découpe des sujets romanesques ou galants, on prend le fait, on invente le dialogue : ici serait l’écueil si le théâtre n’avait pas ses franchises à part, si ceux qui écoutent étaient les mêmes tant soit peu que ceux qui ont vécu alors ou qui ont vu ce monde finissant. […] Il y a telle pièce ou il ne fait que retourner d’un bout à l’autre l’éternelle plaisanterie, vieille comme le monde. […] un serment est toujours sacré dans ce monde théâtral, même de la Régence ; on l’observe judaïque ment.
Et puis, il y avait bien des femmes du monde, charmantes, spirituelles, bonnes au fond et même très indulgentes quelquefois, mais railleuses au dehors et très prononcées contre tout scandale de la scène ; elles n’eussent pas été si fâchées d’en voir un, et elles espéraient bien en faire justice à coup d’épigrammes, avec cette espèce de cant si naturel et si facile au beau monde de tous les pays. […] Au lieu de cela, Geffroy l’a débitée comme la chose du monde la plus simple et la plus facile à penser et à dire, et le succès du passage en a été troublé.
Les poètes anglais qui ont succédé aux Bardes écossais, ont ajouté à leurs tableaux les réflexions et les idées que ces tableaux même devaient faire naître ; mais ils ont conservé l’imagination du Nord, celle qui plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans les bruyères sauvages ; celle enfin qui porte vers l’avenir, vers un autre monde, l’âme fatiguée de sa destinée. […] Les premiers inventeurs connus de la littérature du Midi, les Athéniens, ont été la nation du monde la plus jalouse de son indépendance. […] Néanmoins ne croirait-on pas, en lisant les écrivains du Nord, que c’est une autre nature, d’autres relations, un autre monde ?
La faiblesse de notre âge d’analyse ne permet pas cette haute unité ; la vie devient un métier, une profession ; il faut afficher le titre de poète, d’artiste ou de savant, se créer un petit monde où l’on vit à part, sans comprendre tout le reste et souvent en le niant. […] Il roule d’un monde sur l’autre, ou plutôt des mondes mal harmonisés se heurtent dans son sein.