Pour type des Mystères à leur moment de grande célébrité et de solennité, il est naturel de prendre le plus important de tous, celui qui a donné son nom aux Confrères mêmes, fondateurs de notre ancien Théâtre régulier ; le Mystère de la Passion, et on n’a rien de mieux à faire que de le lire, dans sa version la plus étendue, tel qu’il a été imprimé avec les arrangements et additions du nommé Jean Michel, — que dis-je ? […] Certes, le moment où Cyborée, après une suite de questions qu’elle a adressées à Judas et de lamentations encore obscures qui lui échappent, pressée par lui, s’écrie : Vous êtes mon fils !était un moment terrible et qui devait ébranler tout l’auditoire. […] Ces mystères (et particulièrement celui dont je m’occupe en ce moment), je le sais et j’en conviens, ne sont plus une ébauche : c’est le dernier développement d’une forme bien élémentaire, incomplète, mais enfin c’en est la perfection et l’épanouissement.
Du moment qu’on quitte le port et qu’on se met en route, il faut bien naviguer avec les vents et sur les mers de son temps. […] Mais ce qui était plus triste, s’il est possible, c’était le spectacle que donnait dans le même temps et dans la sphère politique la Chambre, produit de l’élection, et qui était si bien royaliste que Louis XVIII, dans un premier moment de satisfaction trop tôt déçue, l’avait nommée la Chambre introuvable : ce terme d’éloge ne larda pas à se tourner en amère ironie. […] S’ils manquèrent de la politique du moment, ce fut positivement parce que cette politique instantanée ne leur avait jusqu’alors inspiré que du mépris ; mais les affaires les auraient formés, parce qu’elles ont seules la puissance de courber les esprits forts jusqu’aux considérations honteuses qu’exigent l’état et les intérêts d’une société presque en dissolution. […] Michaud dans un coin, lui parle longuement à l’oreille, et puis sort : il se ravise et rentre un moment après, en lui disant, le doigt sur les lèvres : « Au moins je vous recommande bien le secret, mon cher ami. » — « Soyez tranquille, répondit Michaud, je cacherai ce secret-là dans les Œuvres complètes de Lacretelle. » Il faisait ainsi d’une pierre deux coups et se moquait de deux amis diversement ridicules. — Une autre fois encore, rencontrant M. de Marcellus : « Eh bien, lui dit-il, vous devez être content de la Quotidienne, il y a de l’esprit. » — « Oui, répond le benoit Marcellus en faisant la grimace, mais voyez-vous, mon cher ami, il y a toujours quelque chose de satanique dans l’esprit. » Michaud racontait cela sans avoir l’air d’y toucher et en se moquant. — Puisque j’y suis, j’achève de rassembler les traits qui le peignent.
A d’autres moments, à considérer notre sérieux dans les discussions et les recherches les moins attrayantes et les plus ardues, c’était à croire que notre légèreté française proverbiale était en défaut, et qu’un nouvel élément s’était introduit dans le caractère de la nation. […] Et toutefois il a exprimé, en plus d’un endroit de ses écrits, des vœux de méditation individuelle et de hauteur solitaire, si fervents, si profondément sentis, il a marqué un tel désir d’idéal et une telle prédilection élevée pour les sommets infréquentés de la foule, que l’on conçoit très-bien qu’il ait pu, par moments, regretter aussi de ne pas vivre en des temps où cette lutte sur un terrain commun et public, cette bataille à livrer en plaine, ne lui aurait point paru nécessaire. […] Il se rencontrait un moment difficile et périlleux, dans une Vie du Christ ainsi conçue : c’est celui où, d’une première prédication toute tendre et plus modeste, il passe à son rôle divin plus déclaré et à son affectation de Messie. […] Il y a moment pour tout, pour les choses graves comme pour les plus légères.
Un jour, le père le prit par la main, et le conduisit au chef de son atelier auquel il dit : « Je t’amène mon fils ; tu lui feras carder la laine comme un simple ouvrier, et, s’il ne travaille pas comme il faut, voici un fouet avec lequel tu le châtieras. » On dit que depuis ce moment l’enfant ne se plaignit plus du travail du collège. […] Homme obscur, ignoré dans la république des lettres ; jeté, par cette force invisible qui maîtrise nos destinées, dans les agitations d’une vie errante et toujours malheureuse ; appelé, par un concours de circonstances extraordinaires, à des emplois redoutables, où le moment de la réflexion était sans cesse absorbé par la nécessité d’agir ; remplissant encore aujourd’hui des fonctions administratives, bien plus par l’amour de la justice et l’instinct du devoir que par la connaissance approfondie des principes sur lesquels nos grands maîtres ont établi l’art si difficile de l’administration publique ; demeuré, par une captivité longue et douloureuse, presque entièrement étranger aux nouveaux progrès que des savants recommandables ont fait faire à la science, mon premier devoir, Citoyens, est de faire ici l’aveu public de mon insuffisance, et de vous déclarer que tout ce que je puis offrir à cette Société respectable est l’hommage sincère, mais sans doute impuissant, de ma bonne volonté… » Et se voyant amené, par l’ordre des idées qu’il développait dans ce discours, à parler de la Révolution française, explosion et couronnement du xviiie siècle, de « cette Révolution à jamais étonnante qui, déplaçant tout, renversant tout, après des essais pénibles, souvent infructueux, quelquefois opposés, avait fini par tout remettre à sa véritable place », il s’écriait, cette fois avec le plein sentiment de son sujet et avec une véritable éloquence : « La Révolution ! […] Sept de ces vaisseaux étaient pour le moment rentrés à Portsmouth sous les ordres de l’amiral Montagu ; il en restait vingt-six avec les douze frégates dans les eaux de Brest. […] De retour de sa mission, ayant repris place dans la Convention soi-disant restaurée et si partagée encore, restant fidèle à sa ligne, il se vit dénoncé, recherché pour ses actes et mis un moment en arrestation.