Et, quant aux compositions avec les événements et avec les tyrannies qu’on reproche de loin à Cicéron, il faut se reporter à l’état de la république romaine, à la corruption des mœurs, à la lâcheté du peuple, à l’énervation des caractères de son temps, pour être juste envers ce grand homme. […] Enfin c’était un petit nombre de jeunes gens des premières maisons de Rome, tels que Clodius, César, Catilina, Crassus, Céthégus, qui, ayant gardé le crédit en perdant les vertus de leur ancêtres, corrompus de mœurs, pervertis de débauche, ruinés de prodigalités, signalés de scandales, indifférents d’opinions, avides de fortune, trahissant leur sang, leur caste, leurs traditions, la gloire de leur nom, se faisaient les flatteurs, les instigateurs, les tribuns, les complices masqués ou démasqués de la populace, et cherchaient leur richesse perdue et leur grandeur future dans l’abîme de leur patrie ! […] ô mœurs ! […] Cependant son frère, son neveu, ses affranchis, ses esclaves, espèce de seconde famille que la reconnaissance, les lois et les mœurs attachaient jusqu’au trépas aux anciens, lui représentèrent qu’un homme tel que Cicéron n’était jamais vieux tant que son génie pouvait conseiller, illustrer ou réveiller sa patrie ; que Caton, en mourant, avait éteint prématurément lui-même une des dernières espérances de la république par une impatience ou par une lassitude de vertu ; que, s’il était résolu à mourir, il ne fallait pas du moins que sa mort fût inutile à la cause des bons citoyens, qui était celle des dieux ; que, Brutus et Cassius vivant encore, et rassemblant en Afrique des légions fidèles à la mémoire de Pompée et à la république, prêtes à combattre les armées vénales des triumvirs, il devait aller rejoindre ces derniers des Romains, raviver par sa présence et par sa voix une cause qui n’était pas encore désespérée tant qu’il lui restait Cicéron et Brutus ; ou, s’il fallait périr, périr du moins avec la justice, la vertu et la liberté.
L’objet du huitième est sa nourriture et les lieux qu’il habite ; le neuvième traite de ses mœurs, s’il est possible d’user de cette expression ; Aristote y dit quelles sont les habitudes des différents animaux ; avec qui d’entre eux ils vivent réciproquement, soit en société, soit en guerre ; comment ils pourvoient à leur conservation et à leur défense. […] On n’y regrette que deux choses : la première, c’est qu’elle ait été tronquée par le temps ; la seconde, c’est qu’un écrivain aussi consommé n’ait pas suffisamment insisté dans sa description des animaux sur la partie intellectuelle de leurs mœurs. […] XI Si nous avions le talent, l’âge, le loisir et un pourvoyeur comme Alexandre, mettant des milliers d’hommes à notre disposition pour étudier partout les formes et les mœurs de tous les animaux dans l’univers connu, nous oserions entreprendre cette œuvre et chanter ainsi le cantique plus complet de la création, le spiritualisme de l’histoire naturelle. Depuis l’ami de l’homme, le chien, avec lequel nous avons passé une partie essentielle de l’espace de temps qui nous a été assigné dans la vie, et dont aucune pensée ne nous est mystère, jusqu’au chat mélancolique qui s’attache à la femme et qui meurt quand elle meurt, jusqu’à la cigogne dont le père, la mère et les petits semblent descendre du ciel pour nous donner l’idée et le modèle des trois amours de la vie de famille, jusqu’à l’innocente brebis, ce champ ambulant et fertile qui nous livre avec son lait la tiède toison qui nous abrite l’hiver, jusqu’à l’éléphant, militaire et politique, qui combat pour nous et qui se soumet aux lois volontaires de la discipline pour honorer les rois ou les chefs armés des nations, nous aurions passé en revue ce monde animé et inférieur créé pour nous aimer et nous aider ; nous aurions cherché et trouvé dans leurs instincts les plus secrets les mystères de leurs mœurs, et, disons le mot, de leurs vertus.
Resté diplomate, même dans le témoignage qu’il se rend comme auteur, « il n’entendait, dit-il modestement, qu’essayer, par quelque changement dans les mœurs et le ton des personnages, à se rendre supportable après Molière. » Regnard et Dancourt avaient prodigué les saillies d’esprit, les équivoques, les jeux de scène, Lesage, dans Turcaret, n’avait peint que des fripons. […] Les mœurs du théâtre de Destouches, plus douces que vraies, ses caractères qui se corrigent invariablement à la fin de la pièce, son dialogue obligeant et qui sent la négociation, les bonnes manières de ses personnages qu’on dirait formés autour du tapis vert de la table d’un congrès55, tout cela veut être joué en famille. […] Rousseau note le fait56, comme une preuve, selon lui, de l’influence corruptrice des lettres sur les mœurs. […] De ce que le parterre ne trouva pas Cléon assez méchant, il ne s’ensuit ni qu’il fût plein de méchantes gens, ni que les lettres corrompent les mœurs.
Elle envahit la société, elle gouverne les mœurs, elle éclabousse l’opinion publique, et elle possède déjà à elle les Courses et les Bouffes. […] On me présente, il se soulève de sa chaise, veut bien me dire quelques mots sur les études que doit nécessiter l’histoire des mœurs, se rassied, et, toute la soirée, reste au cœur de la conversation des vieux, n’ouvrant pas la bouche, raide sur sa chaise, sérieux comme un doctrinaire qui politique. […] Personne n’a dit Balzac homme d’État, et c’est peut-être le plus grand homme d’État de notre temps, le seul qui ait plongé au fond de notre malaise, le seul qui ait vu d’en haut le déséquilibrement de la France depuis 1789, les mœurs sous les lois, les faits sous les mots, l’anarchie des intérêts débridés sous l’ordre apparent, les abus remplacés par les influences, l’égalité devant la loi annihilée par l’inégalité devant le juge, enfin le mensonge de ce programme de 89 qui a remplacé le nom par la pièce de cent sous, fait des marquis des banquiers — rien de plus. […] Il se défend obstinément, avec une certaine colère rêche, d’avoir outragé les mœurs dans ses vers.