Néanmoins, depuis la révolution, les hommes ont pensé qu’il était politiquement et moralement utile de réduire les femmes à la plus absurde médiocrité ; ils ne leur ont adressé qu’un misérable langage sans délicatesse comme sans esprit ; elles n’ont plus eu de motifs pour développer leur raison : les mœurs n’en sont pas devenues meilleures. […] Si les Français pouvaient donner à leurs femmes toutes les vertus des Anglaises, leurs mœurs retirées, leur goût pour la solitude, ils feraient très bien de préférer de telles qualités à tous les dons d’un esprit éclatant ; mais ce qu’ils pourraient obtenir de leurs femmes, ce serait de ne rien lire, de ne rien savoir, de n’avoir jamais dans la conversation ni une idée intéressante, ni une expression heureuse, ni un langage relevé ; loin que cette bienheureuse ignorance les fixât dans leur intérieur, leurs enfants leur deviendraient moins chers lorsqu’elles seraient hors d’état de diriger leur éducation.
Schwob s’étaye d’une assertion de Chamfort : « Il y a à parier que toute idée publique est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. » Qu’il me permette de rapprocher le sixième Soliloque sceptique de Lamothe le Vayer : « Quand le vulgaire — et la pourpre et le cordon bleu en font partie — a une fois épousé une opinion pour absurde qu’elle soit, il se raidit d’autant plus à la maintenir qu’elle est déraisonnable et absolument opposée à la vérité, qui, n’est ni escoutée, ni comprise par la folle et ignorante multitude. » Tout de même, et malgré l’autorité de Chamfort, de Lamothe et de Marcel Schwob, il n’est pas de sincère exactitude (et aucun historien de mœurs n’admettra) qu’une collectivité choisisse jamais des opinions absurdes, c’est-à-dire à elle fâcheuses. Le fait est que le peuple, y compris la pourpre et le cordon bleu, a été désaccoutumé par force à se faire une opinion ; contrairement à la théorie de Taine, il est avéré que les événements maniés par quelques individus (appelés « grands hommes » dans le vocabulaire de la méthodologie historique) déterminent le plus souvent ses avis intellectuels comme ses mœurs.
Il veut aussi pour ce commerce une certaine douceur et facilité de mœurs, qui sait être accommodante sans être servile, qui n’approuve pas tout sans choix, qui ne rejette pas tout par dégoût. […] Les grâces parurent encore sous les empereurs, mais elles parurent seules, car la majesté des paroles se perdit avec la liberté. » L’auteur rapporte les paroles de Cassius à Brutus avant les ides de mars : « Ces paroles, madame, sont les dernières que prononça la république avant de rendre l’âme… C’était le caractère de l’esprit de Rome, citait la langue naturelle de la majesté. » L’auteur finit par des observations sur les monuments qui restent de la conversation et des mœurs privées des Romains ; il exprime ses regrets sur leur rareté.
L’intérêt attaché à madame de Montausier, dernier reste de la maison de Rambouillet, nous a fait anticiper d’une année sur la période de 1670 à 1680, il nous a fait assister à sa mort, arrivée le 13 avril 1671 ; à sa mort, grand événement dans l’histoire des mœurs du xviie siècle. […] Madame de Montespan elle-même, malgré le plaisir qu’elle avait trouvé autrefois dans ces conversations, les tourna après en ridicule pour divertir le roi63. » Il était fort naturel sans doute qu’à la cour, où tant d’intrigues étaient toujours en action, soit pour la galanterie ou pour la fortune, on regardât comme oisifs les gens qui faisaient les plaisir de la conversation, et que le roi et madame de Montespan, dans les ébats d’un double adultère, eussent besoin de donner un nom ridicule aux personnes spirituelles de mœurs régulières et décentes.