Cela s’appelait L’Amour impossible, et cela était parisien de mœurs, de langage, de corruption raffinée et nauséabonde, d’ennui et de préciosité. […] Il s’en est allé avec les vieilles lunes… Et c’est comme cela que s’en iront peu à peu tant de romans et de compositions de notre pays où Paris, le tic de Paris, le parlage de Paris, les mœurs banales et coulées de Paris, tiennent évidemment trop de place, — des œuvres de talent pourtant, mais qui n’en ont pas assez pour lutter contre l’influence qui les diminue, et pour les élargir et les faire durer. […] Depuis longtemps, il est tombé de la préoccupation publique par morceaux… Quant à Balzac, qui nous donna tant de choses sur Paris et sur ses mœurs, grandes ou petites, aristocratiques ou canailles, il y mêla de si grandes choses, d’une telle généralité de nature humaine et de pathétique universel, que la préoccupation parisienne, qui l’aurait rapetissé comme un autre si elle avait été seule, disparaissait même dans ses Scènes de la vie exclusivement parisienne, mises en regard des autres Scènes qu’il a tracées avec ce génie et cette volonté encyclopédiques qui devaient embrasser tout entier le monde de son temps.
Ses mœurs ne valaient pas beaucoup mieux que celles de sa presque homonyme Manon Lescaut, mais Rivarol l’aimait, — et cela suffit. […] … Pour se glisser plus avant dans cette bourgeoisie régulière dont il hait tout, esprit et mœurs ! […] Peut-être l’effort suprême consisterait-il à reproduire à la fois les mœurs et les caractères. […] Son but est d’imposer à l’attention de deux mille personnes réunies dans une salle une peinture de mœurs ou de passions. Quelles mœurs, sinon celles que toutes ces personnes connaissent ?
D’ailleurs la poésie en est si belle, si harmonieuse, le ton aimable et sublime de l’antiquité y domine si continuellement, les peintures des mœurs y sont si naïves et si particularisées qu’elles suffisent pour rendre témoignage de leur authenticité. […] XXI Appelé par les souverains des royaumes voisins pour conseiller la politique des princes ou réformer les mœurs, il voyagea comme Platon, semant partout la piété et le bon ordre entre les hommes. […] Il feuillette jour et nuit les Kings, ces livres historiques et sacrés dont les textes mutilés ou à demi effacés avaient disparu à moitié de la mémoire des peuples, il les recouvre, il les restitue, il les commente, il les complète et il dit à ses contemporains corrompus : « Lisez et admirez, voilà l’âme, les lois, les mœurs de vos ancêtres, conformez votre âme, vos lois, vos mœurs nouvelles à leur exemple et à leurs préceptes. » Voilà toute la révélation de Confucius ; c’était celle qui convenait par excellence à une race humaine aussi exclusivement raisonneuse et aussi dépourvue de vaine imagination que le peuple chinois. […] Malgré sa répugnance à sortir de ses études philosophiques pour se mêler aux soins du gouvernement, il consentit, à la voix du peuple et du roi, à prendre provisoirement en main le gouvernement pour rétablir l’ordre, les mœurs, la justice, la hiérarchie dans l’État. […] Le triste état des choses et des mœurs dans lequel je laisse la terre prouve, hélas !
Nous qui cherchons partout matière à l’histoire des mœurs et à la distinction des caractères, notons bien le point de séparation que, mieux que personne, il nous aide à observer et à définir. […] Il y discute des changements que la Révolution devra apporter dans les mœurs publiques et dans le goût : « Après tout ce qui est arrivé depuis quelque temps, toutes les idées doivent décidément se renouveler. » Et d’abord il croit que l’universalité de la langue française en souffrira ; que Paris ne sera plus comme auparavant la capitale intellectuelle et littéraire reconnue de l’Europe, les autres nations voulant se venger d’avoir si longtemps obéi à l’esprit venu de Paris. […] La vue des crimes a ôté cette fraîcheur, cette grâce, cette urbanité des mœurs de la nation la plus aimable. […] Le prince de Ligne, malgré sa douceur de mœurs habituelle, ne pouvait s’empêcher d’avoir quelque accès de misanthropie ; il en voulait aux engouements et à toutes ces contrefaçons de talent ou d’esprit qui usurpent la réputation des originaux et des véritables : « Il se fait, disait-il, dans la société un brigandage de succès, qui dégoûte d’en avoir. » Mais il était plus dans sa nuance de philosophie et dans les tons qui nous plaisent, lorsqu’il écrivait cette pensée qui résume sa dernière vue du bonheur : Le soir est la vieillesse du jour, l’hiver la vieillesse de l’année, l’insensibilité la vieillesse du cœur, la raison la vieillesse de l’esprit, la maladie celle du corps, et l’âge enfin la vieillesse de la vie.