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1199. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

La Beaumelle convient de tous les avantages de M. de Voltaire, et il attaque très malignement les faiblesses et les travers dont il n’y a point de grand homme qui ne soit susceptible, mais qui, présentés par une main ennemie, forment un tableau de ridicule. » Il ne lui conteste point que ses ouvrages ne soient d’un très bel esprit, il s’attache à y relever les traits de petit esprit. « Naître avec de l’esprit, dit-il quelque part, c’est naître avec de beaux yeux. […] Dès le début, il a en lui, par le ton et par la légèreté, du gazetier à la main, du folliculaire. […] Frédéric appelle à lui Maupertuis et lui écrit la lettre suivante, qu’on a de sa main : À Königsberg, ce 14 de juillet 1740. […] je crois étudier Frédéric, je me livre à le critiquer ou à l’approuver, je m’appuie au besoin de son autorité et de sa parole, et je suis dupe, je suis mystifié, je n’ai en main que du La Beaumelle, de la fausse monnaie à effigie de roi !

1200. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Il nous rattrappa avant que nous eussions atteint la porte du Temple, et, se jetant entre moi et Mme de Boufflers, il s’empara de sa main et la conduisit à sa voiture. […] Écrivez-moi, je vous prie, quelques détails, mais dans des termes tels que vous n’ayez pas à vous soucier, en cas de décès, en quelles mains votre lettre peut tomber34. […] Cette Correspondance que l’historien d’Auteuil, Feuardent, a eue entre les mains et dont il a donné des extraits, doit exister et serait intéressante à connaître en entier. […] Il était souverainement injuste de dire que le prince de Conti ne pouvait plus souffrir Mme de Boufflers qui était comme sa femme de la main gauche, et qui faisait si bien les honneurs du Temple et de l’Ile-Adam ; mais il est très-vrai que la passion, des deux côtés, était depuis longtemps bien amortie ; ; le prince avait, depuis dix ans au moins, d’autres maîtresses déclarées, et il ne se contraignait en rien sur ce chapitre.

1201. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Le Château-Trompette qui bridait la ville était aux mains du baron de Vaillac, qu’on savait dévoué de cœur et d’âme à la Ligue ; des prédicateurs violents et fanatiques excitaient le peuple. […] Quand tout le monde fut réuni, le maréchal commença à discourir sur les desseins des ligueurs, sur les troubles qu’ils excitaient au cœur du royaume, et sur le danger où ils mettaient Bordeaux en particulier ; puis, se tournant brusquement vers le baron de Vaillac, il lui dit que sa fidélité était suspecte au roi, et qu’en conséquence il eût à remettre incontinent le Château-Trompette entre ses mains. […] Montaigne connaissait de longue main le roi de Navarre. […] Sur quoi, espérant que vous soyez ici demain au plus tard, je vous baise très humblement les mains, etc. » Le maréchal revint et soulagea Montaigne de son fardeau.

1202. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

Mais je ne puis, malgré tout, m’empêcher tristement de sourire quand je vois de jeunes écrivains venir aujourd’hui se faire forts de la vertu entière de la femme en Marie-Antoinette et y mettre comme la main au feu avec une confiance intrépide ; car tous ces chevaliers, dont Burke a parlé dans un éloquent passage, ces jaloux défenseurs qu’avait à son service la reine de France en ses beaux jours et qui lui ont manqué à l’heure du danger, elle les retrouve aujourd’hui un peu tard et après coup. […] En quittant la terre natale et au moment de franchir la frontière de l’empire, probablement à Augsbourg, la jeune princesse écrit à son auguste mère une lettre remplie des meilleurs et des plus naturels sentiments : « Madame ma chère mère, « Je ne quitte pas sans une vive émotion et un serrement de cœur la dernière ville frontière de votre empire ; avant de traverser les derniers États qui me séparent de ma nouvelle patrie, je demande à couvrir vos mains de mes baisers et vous remercier comme je le sens pour toutes les bontés maternelles dont vous m’avez entourée. […] … » C’est à elle de parler, de raconter tout ce voyage avec les impressions qu’elle y mêle et avec cette vivacité, ce mouvement de jeune fille qui était alors une des grâces et l’un des enchantements de sa personne : « Les grandes scènes ont commencé au Rhin ; on m’a conduite dans une île où j’aurais été bien heureuse d’être un peu seule comme Robinson pour me recueillir, mais on ne m’en a pas laissé la liberté ; on m’a comme emportée dans une maisonnette dont un côté était censé l’Allemagne, l’autre la France ; à peine m’a-t-on laissé le temps de faire une prière et de penser à notre bonne chère maman et à vous tous, mes bien-aimés du petit cabinet ; les femmes se sont emparées de moi, — m’ont changée des pieds à la tête. — Après cela, sans me laisser respirer, on a passé dans une grande salle, on a ouvert le côté de France, et l’on a lu des papiers : c’était le moment où mes pauvres dames devaient se retirer ; elles m’ont baisé les mains et ont disparu en pleurant. […] Je lui baise les mains avec respect, en la priant de me continuer ses bontés. » On ne saurait avoir meilleur cœur ni meilleur naturel.

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