Bien plus encore qu’aujourd’hui, il a le monopole de tout ce qui est œuvre d’intelligence et de goût, livres, tableaux, estampes, statues, bijoux, parures, toilettes, voitures, ameublements, articles de curiosité et de mode, agréments et décors de la vie élégante et mondaine ; c’est lui qui fournit l’Europe. […] Ils voudraient bien connaître son budget, vérifier ses livres : un prêteur a toujours le droit de surveiller son gage. […] Rappelez-vous ce marquis dont on parlait tout à l’heure, ancien capitaine aux gardes françaises, homme de cœur et loyal, avouant aux élections de 1789 que les connaissances essentielles à un député « se rencontreront plus généralement dans le Tiers-état, dont l’esprit est exercé aux affaires ». — Quant à la théorie, le roturier en sait autant que les nobles, et il croit en savoir davantage ; car, ayant lu les mêmes livres et pénétré des mêmes principes, il ne s’arrête pas comme eux à mi-chemin sur la pente des conséquences, mais plonge en avant, tête baissée, jusqu’au fond de la doctrine, persuadé que sa logique est de la clairvoyance et qu’il a d’autant plus de lumières qu’il a moins de préjugés. — Considérez les jeunes gens qui ont vingt ans aux environs de 1780, nés dans une maison laborieuse, accoutumés à l’effort, capables de travailler douze heures par jour, un Barnave, un Carnot, un Roederer, un Merlin de Thionville, un Robespierre, race énergique qui sent sa force, qui juge ses rivaux, qui sait leur faiblesse, qui compare son application et son instruction à leur légèreté et à leur insuffisance, et qui, au moment où gronde en elle l’ambition de la jeunesse, se voit d’avance exclue de toutes les hautes places, reléguée à perpétuité dans les emplois subalternes, primée en toute carrière par des supérieurs en qui elle reconnaît à peine des égaux. […] Ce Contrat social, qui dissout les sociétés, fut le Coran des discoureurs apprêtés de 1789, des jacobins de 1790, des républicains de 1791 et des forcenés les plus atroces… J’ai entendu Marat en 1788 lire et commenter le Contrat social dans les promenades publiques aux applaudissements d’un auditoire enthousiaste. » — La même année, dans la foule immense qui remplit la Grand’Salle du Palais, Lacretelle entend le même livre cité, ses dogmes allégués582 « par des clercs de la Basoche, par de jeunes avocats, par tout le petit peuple lettré qui fourmille de publicistes de nouvelle date ». […] Tel sergent aux gardes françaises brode la nuit des gilets pour gagner de quoi acheter les nouveaux livres
C’était une frivolité de dire que « les malades se guérissaient à la vue des lettres de Balzac » ; que « son livre n’était guère moins connu que l’eau et le feu » ; que « c’était le philtre qui faisait aimer le français aux nations qui habitent les bords de la mer Glaciale » ; que Sénèque, auprès de Balzac, n’était que monotonie, et Cicéron que vide ; qu’il était l’empereur des orateurs, comme si le titre d’orateur, objecte judicieusement un de ses critiques, pouvait appartenir à qui n’a jamais parlé en public. […] Aussi voit-on sans mauvaise humeur l’infatuation de Balzac écrivant d‘un de ses critiques : « Un d’eux ne pouvant souffrir cet éclat, je ne sais lequel, qui me rend plus visible que je ne veux, et cette réputation incommode que je changerais de bon cœur avec le repos de ceux qui ne sont connus de personne, a entrepris de parler plus haut que la renommée et d’obliger tout un royaume de se dédire. » Et plus loin : « Il m’est pourtant bien doux de recevoir aujourd’hui, avec vos prières, celles de la moitié de la France10. » Bayle cite l’anecdote de cet homme qui lui demandait des nouvelles de messieurs ses livres. […] Enfin, il refuse le don de faire un livre à cet homme, « qui, pour avoir écrit, dit-il, moins de lettres qu’un banquier n’en dépêche pour un ordinaire, a déjà épuisé tous les panégyriques13. »« Après tout, dit-il ailleurs, il fait voler de malheureux tronçons avortés par force de son esprit, que je juge incapable de produire jamais un ouvrage en perfection14. » Goulu avait prédit juste. […] Le livre n’ajouta pas à sa réputation, et donna fort à railler à ceux qui avaient dit que « qui le tirerait hors de ses lettres lui ferait tomber la plume de la main, et que ce genre d’écrire, dans lequel on a la liberté de finir quand on veut, était la borne de son insuffisance. » On avait opposé le Prince de Machiavel à celui de Balzac, pour relever d’autant ce dernier. […] C’est au fond la seule morale qu’il voulait qu’on tirât de toutes les pages de son livre.
Le dernier et le plus illustre de ceux qui ont pris La Fontaine ainsi, c’est mon vénéré maître, Hippolyte Taine, qui a fait un livre admirable, et avec lequel je ne songe pas à rivaliser, mais il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a chez lui, je crois, qu’une partie de la vérité. […] Je pourrais citer encore ceci qui éclaire jusqu’à un certain point la question, le prologue du livre neuvième. […] Ce sont les derniers mots de la fable première du livre douzième. […] Par exemple, dans le dernier livre, il y a une société hétéroclite et bizarre, du corbeau, de la gazelle, de la tortue et du rat ; et il faut avouer que c’est de la plus haute fantaisie que de les mettre ainsi ensemble. […] Il y a, dans les livres de M.
Vous verriez, surtout au commencement ou à la fin de ces romans, quelquefois aussi au milieu et dans l’intervalle d’un livre à l’autre, s’il est fait mention de l’auteur et de la date, et vous transcririez fidèlement ces endroits. […] Des traités en langue vulgaire sur les divers arts et métiers, sur diverses parties des sciences d’alors, des livres de compte même peuvent devenir précieux pour l’histoire des origines et des progrès de la langue, par leur date, par leur terminologie, La littérature de ces époques revendique très directement, et à titre même de poèmes didactiques, les traités en vers sur la chasse, sur l’équitation, sur les échecs, etc. […] Les anciens livres d’offices en latin peuvent offrir la première forme, encore liturgique, des miracles et des mystères.