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956. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Poirson prise fort et à laquelle j’ai emprunté beaucoup, celle de Hurault Du Fay, un petit-fils de L’Hôpital, qui fit deux libres et excellents Discours sur les affaires du temps, dont le second se rapporte à l’année 1591. […] Ce que fut, après de telles fatigues et de si longues guerres, après des guerres intestines où l’on s’était vu sur un qui-vive perpétuel et où l’on était presque partout à l’état de frontière, — ce que fut enfin le soulagement et la libre respiration des peuples quand on se sentit tout de bon en paix, en sécurité, sans plus avoir à s’occuper même de Picardie surprise et de siège d’Amiens, il faudrait l’avoir éprouvé pour le dire ; c’est du témoignage des contemporains qu’il le faut entendre.

957. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Ç’a été l’honneur du xviie  siècle, que la poésie a donné le signal et le branle, même à la prose : celle-ci en a gardé quelque chose de plus libre, de plus large et de plus généreux, qui disparaît trop dans le siècle suivant. […] On n’a pas le cœur libre quand on lit le Cid.

958. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Nos plus libres auteurs comme Molière et La Fontaine imitent beaucoup eux-mêmes ; le principal, aux yeux de ce dernier, et tout le fin de l’art consiste à savoir rendre sien cet air d’Antiquité. […] Les amoureux sont aisément crédules ; elle est tentée de voir là-dedans un signe et une intention de la Providence : « Je ne veux point pénétrer les desseins du Ciel, je ne me permettrai pas de former de coupables vœux ; mais je le remercie d’avoir substitué mes chaînes présentes à celles que je portais auparavant, et ce changement me paraît un commencement de faveur. » Elle est extrêmement attendrie ce jour-là (7 juillet) ; les épanchements de la journée ne lui ont pas suffi ; elle s’y remet dans la soirée encore ; son âme déborde ; elle laisse échapper l’hymne intérieur comme dans un couplet mélodieux ; elle a beaucoup lu Thompson, elle l’imite ; elle a de sa prosodie scandée, elle a de la simplicité avec pompe : « Douce occupation, communication touchante du cœur et de la pensée, abandon charmant, libre expression des sentiments inaltérables et de l’idée fugitive, remplissez mes heures solitaires !

959. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Il n’était pas éloigné de croire, par exemple, que si la retraite de Louis xvi auprès de M. de Bouillé avait réussi, et que si le roi était redevenu libre à la tête de cette armée, lui, Malouet, aurait pu réussir comme porteur de paroles au nom de l’Assemblée, et de la part de la gauche modérée ; qu’il eût pu être le fondé de pouvoirs et le médiateur d’une conciliation constitutionnelle. […] Chapelier, qui, à l’exemple de Barnave, ne demandait pas mieux que d’entrer dans cette voie de transaction et qui en avait pris même l’engagement secret à la veille de l’ouverture des débats pour la révision de l’acte constitutionnel, fut le premier à y manquer quand on fut à la tribune ; il y manqua, parce qu’on n’est pas libre de rétrograder quand on marche en colonne, parce que la force des choses en ces moments domine les volontés particulières ; parce qu’il y a courant et torrent irrésistible au dedans des assemblées comme au dehors ; parce que les mêmes hommes ne peuvent pas jouer deux rôles opposés à quelques mois d’intervalle devant les mêmes hommes, devant les mêmes murailles ; parce que l’esprit même y consentant, la langue tourne et s’ refuse ; parce que les murs, à défaut des fronts, ont une pudeur ; parce qu’enfin les uns se lassant, d’autres tout frais et tout ardents succèdent, qui ne permettent pas ces petits compromis particuliers avant le complet déroulement des principes et l’entier épuisement des conséquences.

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