Allons au fond de cette liberté, de ces témérités effervescentes. […] Ensuite vient la lutte de la liberté humaine contre le destin, c’est-à-dire contre les faits créés en dehors de la Providence par le mauvais usage que l’essence humaine a fait dès l’origine de la liberté. […] L’Orient avait tenu la raison et la liberté de l’homme emmaillotées dans les langes du panthéisme. […] Or il n’y a pas d’art sans liberté, pas plus que sans traditions. […] Le vrai respect n’existe qu’avec la force et la liberté.
Néanmoins, l’ignorance où l’on était alors de la découverte de l’imprimerie était favorable, à quelques égards, à la liberté d’écrire ; les livres étaient moins surveillés par le despotisme, lorsque les moyens de publicité étaient infiniment restreints. […] Les tyrans étaient donc beaucoup plus indifférents que de nos jours à la liberté d’écrire ; la postérité n’étant pas de leur domaine, ils laissaient assez volontiers les philosophes s’y réfugier. […] Si l’imprimerie avait existé, les lumières et l’opinion publique acquérant chaque jour plus de force, le caractère des Romains se serait conservé, et avec lui la nation et la république ; on n’aurait pas vu disparaître de la terre ce peuple qui aimait la liberté sans insubordination, et la gloire sans jalousie ; ce peuple qui, loin d’exiger qu’on se dégradât pour lui plaire, s’était élevé lui-même jusqu’à la juste appréciation des vertus et des talents pour les honorer par son estime ; ce peuple dont l’admiration était dirigée par les lumières, et que les lumières cependant n’ont jamais blasé sur l’admiration.
Les habitudes ou les préjugés, dans les pays gouvernés despotiquement, peuvent encore souvent inspirer des actes brillants de courage militaire ; mais le pénible et continuel dévouement des emplois civils et des vertus législatives, le sacrifice désintéressé de toute sa vie à la chose publique, n’appartient qu’à la passion profonde de la liberté. […] Les liens domestiques sont cimentés par une liberté raisonnable ; l’homme n’a plus légalement aucun droit arbitraire sur son semblable. […] Ainsi marchait le siècle vers la conquête de la liberté ; car ce sont les vertus qui la présagent.
Dans les monarchies limitées, comme en Angleterre et en Suède, l’amour de la liberté, l’exercice des droits politiques, des troubles civils presque continuels, apprenaient aux rois qu’ils avaient besoin de rencontrer dans leurs favoris de certaines qualités défensives, apprenaient aux courtisans que même pour être préférés par les rois, il fallait pouvoir appuyer leur autorité sur des moyens indépendants et personnels. […] La délicatesse du point d’honneur, l’un des prestiges de l’ordre privilégié, obligeait les nobles à décorer la soumission la plus dévouée des formes de la liberté. […] L’arbitraire dans le pouvoir n’excluant point alors la liberté dans les opinions, l’on sentait le besoin de se plaire les uns aux autres, et l’on multipliait les moyens d’y réussir.