Le lecteur hésite plus d’une fois dans son impression, et reste étonné. […] Dans ce fameux et trop célèbre roman des Mystères de Paris, quand Eugène Sue s’apercevait qu’il avait trop plongé son lecteur dans la boue et dans l’horrible, vite il ramenait sa grisette gentille et rieuse et faisait chanter les oiseaux de Rigolette.
Si le lecteur me reproche de ne pas l’aider dans cette appréciation, s’il me demande pourquoi je n’enlève pas le rideau pour découvrir le tableau, je répéterai la réponse du peintre Zeuxis à la même question qui lui fut faite, quand il exposa son chef-d’œuvre d’art imitatif : « Le tableau, c’est le rideau. » « Ce que nous lisons maintenant comme poésie et légende était jadis de l’histoire généralement acceptée, et la seule véritable histoire de leur passé que les premiers Grecs pussent concevoir ou goûter. […] Un savant français des plus érudits, mais de plus de savoir encore que de discernement, d’Ansse de Villoison, avait découvert en 1781, dans la Bibliothèque de Saint-Marc à Venise, et il avait publié en 1788 un texte de l’Iliade avec un immense cortège de scolies grammaticales qui initiaient les doctes lecteurs à tout le travail intérieur et, pour ainsi dire, à la cuisine des critiques d’Alexandrie ; on assistait à leurs dissidences, à leurs doutes touchant l’authenticité de tel ou tel vers ; on était introduit dans le cabinet même et le laboratoire d’Aristarque.
Joseph Bertrand voulant écrire pour le public, c’est-à-dire pour la moyenne des gens instruits, a éludé ce genre de difficulté autant que possible : il eût pu trancher davantage et mettre plus en relief et en vedette les résultats scientifiques, sauf au lecteur à ne prendre que ce qu’il en pourrait saisir ; il a mieux aimé accuser moins à nu les côtés sévères pour fondre plus couramment le ton de l’ensemble. […] Il y a plus de philosophie, en vérité, dans le bout du petit doigt de Fontenelle que dans tous ces gros livres savants, curieux, intéressants, j’en conviens, mais si mélangés, si pétris de doctrines diverses ou contraires, si soumis à la foi et si ambitieux, si flatteurs pour le sens humain et pour les autorités de tout bord, si avides d’accaparer toutes les sortes de public et de recruter toutes les classes de lecteurs.
Telle apparaît au lecteur impartial la régence d’Anne d’Autriche ; tel est le fond ténébreux et sanglant sur lequel se dessina un beau matin la Fronde, qu’on est convenu d’appeler une plaisanterie à main armée. […] Certes, il y aurait là matière à bien des réflexions sur les mœurs et la civilisation du grand siècle ; nos lecteurs y suppléeront sans peine.