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677. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Le poète fait son œuvre avec des mots : la technique, pour lui, c’est donc d’abord le maniement de la langue. Connaissance et respect de la langue, pureté, correction, éviter les tours vicieux, les termes impropres, ne jamais s’accorder un barbarisme ou un solécisme même en vue d’un effet à produire : on ne doit pas s’étonner que Boileau impose ces lois à un écrivain ; cela équivaut à exiger d’un peintre la connaissance du dessin. […] Il en est des genres comme des langues : ce qui se fixe, c’est ce qui meurt, et les genres ne vivent que par une adaptation, c’est-à-dire une transformation continuelle ; dans cette évolution, ils semblent périr lorsque leur principe de vie abandonne la forme qui les caractérisait pour en revêtir une autre, qui fera la même fonction, sans pourtant avoir rien de commun en apparence avec ce qu’elle remplace. […] Indépendamment des lois générales de la langue et du vers et des lois particulières des genres, la création poétique, de quelque nature qu’elle soit, doit observer certaines règles très fines, qui aident à dégager la nature et assurent le plaisir du lecteur. […] Boileau a donc absolument raison quand il dit — et ce qu’il dit n’a pas d’autre sens — que le Grec qui entendait comparer Ajax à un âne, n’était pas affecté de la même façon qu’un courtisan français qui lit en sa langue une traduction du même passage.

678. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Le plus habile de nos traducteurs en vers, l’abbé Delille, malgré son prodigieux talent, n’a pu néanmoins vaincre tout à fait, sous ce rapport, la nature de notre langue. […] La langue de la tragédie allemande n’est point astreinte à des règles aussi délicates, aussi dédaigneuses que la nôtre. […] Ce caractère excite en Allemagne un enthousiasme universel ; et il est difficile de lire l’ouvrage de Schiller, dans sa langue originale, sans partager cet enthousiasme. […] Je crois avoir transporté dans son caractère sa douceur, sa sensibilité, son amour, sa mélancolie ; mais tout le reste m’a paru trop directement opposé à nos habitudes, trop empreint de ce que le très-petit nombre de littérateurs français qui possèdent la langue allemande appellent le mysticisme allemand. […] Le dédain pour les nations voisines, et surtout pour une nation dont on ignore la langue, et qui, plus qu’aucune autre, a dans ses productions poétiques de l’originalité et de la profondeur, me paraît un mauvais calcul.

679. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Si Michelet avait eu un califourchon moins funeste, s’il avait ajouté un scandale au premier, si, dans ce livre, écrit pour les femmes, il était descendu un peu plus avant en ces détails physiquement immondes, qu’il a une fois traversés, pour nous montrer où, selon sa science, gît l’amour, nous n’eussions pas ajouté au scandale en nous révoltant contre son éclat et nous nous serions tu, ne sachant pas d’ailleurs de quelle langue nous servir pour répéter honnêtement les choses que Michelet nous dit hardiment de sa jeune et innocente bouche scientifique, faite d’un bronze récemment coulé. […] Un peintre de langue, un écrivain, un grand artiste, oui ! […] Mais le païen qui se mêlait au chrétien, dans Michelet, comme le cancer à la chair qu’il dévore, veut, avant des lois, des fêtes et des spectacles, et ce que furent pour les Apôtres et ce que sont pour nous les langues de feu du Saint-Esprit, c’est, pour Michelet, et ce doit être pour le monde, les langues des comédiennes et des bateleurs ! […] Risum teneatis… Guenille de Christianisme quand il parle de la nécessité d’un « médiateur » entre les hommes, — mot et idée de la langue chrétienne, plus forte que la bouche qui la parle sans la comprendre, — mais, presque au même instant, guenille de paganisme aussi quand il ajoute que le « médiateur » des temps modernes c’est le jeune homme, et uniquement parce qu’il est un jeune homme, et non pour une raison plus haute que son éphémère juvénilité !

680. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Beaucoup s’alarmèrent de voir menacer la simplicité et la clarté de la langue. […] Ce qui était personnel cependant à Moréas, c’était, après nous vanter de grandiloquence naïve, « l’ellipse et le trop hardi et l’anacoluthe en suspens », demander sans rire pour l’expression nouvelle « une langue instaurée et modernisée, la langue de Rabelais, Commines, Villon, Ruteboeuf » ! […] D’elle désormais, la moderne langue littéraire est le plus sûrement déterminée). […] Et encore, prétend-il qu’il va enrichir la langue, lui rendre verdeur et originalité, la délivrer d’imitations étrangères ! […] « Langue de dialecticien », excuse peut-être Mauclair.

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