Là les bras de ce fort, là le torse ; mais pour juger Shakespeare, il le faut tout entier. […] Écrite dans la langue colorée, pittoresque, expressive de la tradition romantique, elle permettra enfin de juger Shakespeare dans son originalité, pour les Français qui ne savent pas l’anglais, presque entièrement inconnue. […] Comme on ne s’arrête plus, une fois sur la pente, cette idée d’enseigner, en se développant, se modifie et devient bientôt celle de juger, et le professeur Shakespeare devient le juge Shakespeare, sous la plume de François Hugo, une espèce de lord justicier, de haut shérif intellectuel d’Angleterre. […] Vous allez en juger à nouveau. […] Et l’œil du critique — car tout critique est un voyant — s’accoutumerait-il assez à la clarté intense ou à la dense profondeur de Shakespeare, pour le voir et pour le juger ?
Je vise toujours, — et je crois que c’est un principe essentiel en fait de critique contemporaine, — à juger les écrivains d’après leur force initiale et en les débarrassant de ce qu’ils ont de surajouté ou d’acquis. […] La solennité académique l’ayant remis sur le tapis, chacun l’a jugé et rejugé à sa guise, et M. […] Hugo, de Vigny, et, tout en réservant son indépendance, il se plaçait pour l’examen des œuvres au point de vue des auteurs ; il leur appliquait les règles et les principes d’après lesquels ils avaient désiré être jugés eux-mêmes. […] Magnin, nous devons le dire, furent marquées par des changements profonds que nous n’avons à juger en aucun cas, et qui ne le laissèrent pas tout à fait le même que nous venons de le montrer.
Publiant en 1808 son premier recueil de chansons, il toucha, dans sa préface, quelque chose de ces horribles scènes dont il avait été témoin et victime ; mais, chez les êtres vivement doués et qui ont été désignés en naissant d’une marque singulière, la nature au fond est si impérieuse, et elle donne tellement le sens qui lui plaît à tout ce qui vient du dehors, qu’il y voyait plutôt un motif de s’égayer désormais et de chanter : « Permettez-moi, disait-il au lecteur de cette préface, de payer à la Gaieté, ma généreuse libératrice, un hommage que l’ingratitude la plus noire pourrait seule lui refuser ; daignez m’entendre, et vous en allez juger. […] A ne les juger que sur le papier, les pièces lues (qu’on ne s’en étonne pas) ne rendent que bien peu les mêmes pièces chantées ; c’est une lettre morte et muette ; il faut l’air pour leur rendre le souffle et le sens. […] Pascal a dit hardiment : « Il faut avoir une porte de derrière et juger de tout par là : en parlant cependant comme le peuple. » Béranger a eu cette porte de derrière dans la chanson : il a su y introduire toute une armée par la poterne, toute une race de héros et de vainqueurs comme dans une Ilion. […] Désaugiers (ce qu’on croirait difficilement à ne le juger que du dehors) était un homme d’intérieur ; mari et père tendre, voué aux affections domestiques, il n’a laissé au sein de la famille la plus unie que des souvenirs pieux et inaltérés, aussi vifs après tant d’années que le premier jour.
Si la critique littéraire n’est plus une boussole assez sûre pour diriger nos jugements dans l’appréciation des œuvres de l’esprit, qu’avons-nous de mieux à faire que de nous mettre en état de les juger nous-mêmes, d’après nos propres lumières, d’après nos propres impressions ? […] Cette manière de juger les œuvres des hommes, et par conséquent les hommes mêmes, a ses avantages en ce qu’elle soumet à des lois fixes et invariables les travaux de l’imagination. […] Nous pouvons juger par nous-mêmes quelle est l’influence des sites et des événements. […] Cette manière, peut-être nouvelle, d’envisager la littérature des différents siècles et des différents pays aura pour nous cet avantage qu’elle nous permettra de juger l’influence des lettres sur les destinées des hommes et des empires.