Jugement d’ensemble sur Voltaire : caractère, esprit ; style ; l’ironie voltairienne ; l’art de conter. […] Voltaire ramasse un faisceau de pièces originales, d’où l’innocence de la victime ressort (1762) ; il reçoit chez lui les restes de la malheureuse famille ; il fait reviser le jugement ; pendant trois ans c’est sa principale affaire, et il finit par arracher la réhabilitation de Galas. […] L’esprit et l’oeuvre de Voltaire Rien n’est plus difficile que de porter un jugement d’ensemble sur Voltaire. […] Toutes les injustices, toutes les oppressions, tous les crimes sont perçus par lui comme effets de jugements infirmes. […] L’esprit est brusquement heurté par tant d’évidence de vérité ou d’erreur qu’il trouve à la place de l’obscurité qu’il attendait, et il s’égaie de trouver réduites à des jugements de M. de la Palisse les idées où il croyait se casser la tête.
Quand il apprécie le savant, le géomètre, on s’incline, on accepte ses jugements sans les discuter, et avec le respect qui est dû à sa parole. […] Necker avait écrit l’éloge : « Comme de l’admiration à l’imitation, dit-il, il n’y a qu’un pas, je me rappelle avec tremblement que Colbert commença son ministère par une banqueroute et le finit par de la fausse monnaie. » Le bon sens de Voltaire se révolte pourtant à une telle injustice, et il rappelle Condorcet à l’ordre : « Je n’ai jamais été de l’avis de ceux qui dénigrent Jean-Baptiste (Colbert)… » Mais on entrevoit déjà un coin de jugement faux chez Condorcet, car ce n’est qu’un esprit en partie faussé par la passion et par le système, qui peut comparer M. […] Une analyse bien faite des lettres de Condorcet à Voltaire et à Turgot dégagerait de plus en plus cette veine maligne : ses jugements sur Buffon, sur le maréchal du Muy (pour prendre des noms bien opposés), et sur bien d’autres, sont imprégnés d’acrimonie et décèlent une injustice, une prévention profonde. […] Ses éloges académiques, quoiqu’on n’y rencontre presque jamais la couleur, la sensibilité, l’agrément ni le bonheur de l’expression, et que trop souvent la déclamation les dépare, se recommandent par des analyses fidèles, des jugements élevés et fermes, des observations fines et parfois mordantes : « On ne peut rien lire, dit M. […] Depuis M. de Malesherbes jusqu’à Robespierre, on aurait ainsi épuisé le cercle des jugements les plus disparates, et tous concorderaient sur un même point de condamnation à l’égard du personnage : quelque chose de louche dans la conduite, et de peu net dans le caractère.
La Harpe lui-même, qui, à cette époque, n’avait lu de Bossuet que les Oraisons funèbres et l’Histoire universelle, résistait à ce jugement sur l’ensemble des Œuvres, et il ne s’y rendit que plus tard. […] Tous ces jugements, ébauchés par lui dès 1772 et 1777, tout à fait neufs alors et originaux, développés depuis et mis en complète lumière dans les dernières éditions de l’Essai sur l’éloquence de la chaire, font loi et règlent désormais cette matière littéraire et sacrée. […] Pour toutes ces parties que je ne puis qu’indiquer en passant à cause de la gravité des sujets, l’abbé Maury mérite la plus sérieuse estime, une estime qui lui sera accordée, je ne crains pas de l’affirmer, par quiconque, voulant étudier nos grands orateurs de la chaire, aura l’occasion de vérifier ses jugements si sains, si substantiels et si solides. […] Si vous étiez à Paris, je ferais sur votre âme sensible et délicate l’épreuve de ma verve oratoire, et votre goût fixerait le jugement que je dois en porter. […] Son bon jugement se faisait jour et maintenait tant bien que mal sa ligne à travers toutes ces saillies, ces légèretés et ces pétulances.
Dans ses jugements il pensait surtout aux délicats, et l’on a pu dire qu’il avait en littérature « plus de volupté que d’ambition ». […] Le jugement, a-t-il dit, se contente d’approuver et de condamner, mais le goût jouit et souffre. Il est au jugement ce que l’honneur est à la probité : ses lois sont délicates, mystérieuses et sacrées. L’honneur est tendre et se blesse de peu : tel est le goût ; et, tandis que le jugement se mesure avec son objet, ou le pèse dans la balance, il ne faut au goût qu’un coup d’œil pour décider son suffrage ou sa répugnance, je dirais presque son amour ou sa haine, son enthousiasme ou son indignation, tant il est sensible, exquis et prompt ! […] Jamais il ne consent à admettre le divorce entre l’imagination et le jugement.