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461. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

… Aujourd’hui, que pensera de moi le généreux prince qui, sans me connaître autrement que par mon ouvrage, me fait un accueil si flatteur, et qui, en utilisant directement mon instinct guerrier, me fournirait du moins les occasions de faire quelque chose ? […] On a affaire ici à un talent impérieux, égoïste comme tous les talents d’instinct, à une vocation prononcée, qui demande avant tout le jour et l’occasion, le champ et l’espace.

462. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Ce contemporain, dont le nom n’étonnera que ceux qui n’ont lu aucun de ses trois ouvrages caractéristiques, et qu’un instinct heureux de fureteur ou quelque indication bienveillante n’a pas mis sur la voie des Rêveries, d’Oberman et des Libres Méditations ; l’éloquent et haut moraliste qui débuta en 1799 par un livre d’athéisme mélancolique, que Rousseau aurait pu écrire comme talent, que Boulanger et Condorcet auraient ratifié comme penseurs ; qui bientôt, sous le titre d’Oberman, individualisa davantage ses doutes, son aversion sauvage de la société, sa contemplation fixe, opiniâtre, passionnément sinistre de la nature, et prodigua, dans les espaces lucides de ses rêves, mille paysages naturels et domestiques, d’où s’exhale une inexprimable émotion, et que cerne alentour une philosophie glacée ; qui, après cet effort, longtemps silencieux et comme stérilisé, mûrissant à l’ombre, perdant en éclat, n’aspirant plus qu’à cette chaleur modérée qui émane sans rayons de la vérité lointaine et de l’immuable justice, s’est élevé, dans les Libres Méditations, à une sorte de théosophie morale, toute purgée de cette âcreté chagrine qu’il avait sucée avec son siècle contre le christianisme, et toute pleine, au contraire, de confiance, de prière et de douce conciliation ; fruit bon, fruit aimable d’un automne qui n’en promettait pas de si savoureux ; cet homme éminent que le chevalier de Bouflers a loué, à qui Nodier empruntait des épigraphes vers 1804 ; que M. […] Plein d’aversion pour une société factice où tout, suivant lui, s’est exagéré et corrompu ; en perpétuelle défiance contre cette force active qui projette l’homme inconsidérément dans les sciences, l’industrie et les arts ; ne croyant plus, d’autre part, à la libre et hautaine suprématie de la volonté, il tend à faire rétrograder le sage vers la simple sensation de l’être, vers l’instinct végétatif, au gré des climats, au couchant des saisons ; pour une plus égale oscillation de l’âme, les données qu’il exige sont un climat fixe, des saisons régulières ; il choisit de la sorte, il compose un milieu automnal, éthéré, élyséen, selon la molle convenance d’un cœur désabusé, ou selon la mâle âpreté d’une âme plus fière, l’île fortunée de Jean-Jacques ou une haute vallée des Alpes ; il y pose le sage, il l’y assimile aux lieux, il lui dit d’aller, de cheminer à pas lents, prenant garde aux agitations trop confuses, et se maintenant par effort de philosophie à la sensation aveugle et toujours semblable. « Je ne m’assoirai point auprès du fracas des cataractes ou sur un tertre qui domine une plaine illimitée ; mais je choisirai, dans un site bien circonscrit, la pierre mouillée par une onde qui roule seule dans le silence du vallon, ou bien un tronc vieilli, couché dans la profondeur des forêts, sous le frémissement du feuillage et le murmure des hêtres que le vent fatigue pour les briser un jour comme lui.

463. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

A côté des choses aimables et que nous donnions pour telles, avons-nous pris pour de la sécheresse ce qui n’était que de la passion, pour du persiflage ce qui n’était que de la jeune gaieté, pour des habitudes plus que périlleuses ce qui n’était que d’heureux instincts ? […] Au moment où il parlait de la sorte, il était sincère, ou il se le persuadait ; son esprit constamment nourri, à travers tout, d’études sérieuses, avait puisé ses premiers instincts politiques dans l’exemple des États-Unis d’Amérique et dans les institutions de l’Angleterre.

464. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

L’homme, par un instinct occulte, mais fatal, semble avoir senti, dès le commencement des temps, le besoin d’exprimer dans un langage différent ces choses différentes. […] Le maître de tout, l’instituteur et le législateur des formes de l’expression humaine n’est pas autre que l’instinct, cette révélation sourde, mais impérieuse et pour ainsi dire fatale de la nature dans notre être et dans tous les êtres.

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