Son rare bon sens, sinon l’instinct de justice, lui disait que c’était là peut-être la plus grosse affaire encore que depuis le 18 Brumaire il eût entamée. […] Thiers, d’instinct et par tempérament, aime, avant tout, le naturel, la simplicité, l’opposé du déclamatoire et de tout ce qui y ressemble ou qui y prête. […] Esprit clair, vigoureux et net, par sa longue pratique positive il n’a fait que se fortifier dans son premier instinct et y ajouter l’arrêt de l’expérience.
Salomon a dit quelque part dans le livre des Proverbes : « Comme on voit se réfléchir dans l’eau le visage de ceux qui s’y regardent, ainsi les cœurs des hommes sont à découvert aux yeux des sages. » Mais il est difficile de rester prudent et sage quand on lit à ce degré jusqu’au fond dans l’âme des autres hommes ; il est difficile, même lorsqu’on n’en abuserait point pour des fins intéressées et sordides, de ne point haïr, de ne point mépriser, de ne point marquer ses propres antipathies et ses instincts ; et le faible de Saint-Simon comme homme, de même qu’une partie de sa gloire comme peintre, est de s’être livré avec passion et flamme à tous les mouvements de réaction que cette seconde vue, dont il était doué, excitait en lui. […] Ainsi donc, sans prétendre garantir l’opinion de Saint-Simon sur tel ou tel personnage, et en en tenant grand compte seulement en raison de l’instinct sagace et presque animal auquel il obéissait et qui ne le trompait guère, on ne peut dire qu’en masse il ait calomnié son siècle et l’humanité ; ou, si cela est, il ne l’a calomniée que comme Alceste, et avec ce degré d’humeur qui est le stimulant des âmes fortes et la sève colorante du talent. […] Il était, en quelque sorte, en proie à lui-même, à ses instincts et à ses talents ; mais ils en paraissent d’autant plus merveilleux et extraordinaires.
Mais le jeune homme, par un instinct secret vers l’avenir, voulait la guerre et la carrière des armes : « Je me sentais fait pour la guerre, dit-il, pour ce métier qui se compose de sacrifices. » L’amour de la gloire avait, en quelque sorte, passé dans son essence, et au moment où il retrace ces souvenirs (1829), il ajoute : « J’en ressens encore la chaleur et la puissance à cinquante-cinq ans, comme au premier jour. » À soixante-quinze ans, il les ressentait de même. […] Son instinct supérieur lui faisait dès ce moment entrevoir les combinaisons qui pourraient lui ouvrir le chemin de la fortune et du pouvoir. […] Pendant l’armistice qui partage en deux cette campagne et dans les semaines qui précèdent la bataille de Leipzig, Marmont est continuellement rapproché de Napoléon, qui l’appelle, le consulte, admet la discussion sur les plans à suivre et passe outre, emporté par un mouvement plus fort d’impatience ardente et de passion : Son esprit supérieur lui a certainement alors montré les avantages d’un système de temporisation, mais un foyer intérieur le brûlait ; un instinct aveugle l’entraînait quelquefois contre l’évidence, parlait plus haut et commandait.
Mais ce fut chez lui un royalisme d’instinct, de sentiment ; ne lui demandez point d’abord de théorie politique préconçue ; il n’a rien de cette rigueur de logique et de doctrine qui signalera la marche inflexible des de Maistre et des Bonald. […] Quand les raisonneurs et les beaux esprits ont ainsi abusé et que les conséquences ruineuses sont sorties de toutes parts, l’instinct de la conservation se réveille puissamment dans le gros de la société. […] Michaud revient cet autre honneur solide d’avoir eu, le premier chez nous, l’instinct du document original en histoire, d’en avoir de plus en plus apprécié l’importance en écrivant, d’avoir eu l’idée de l’enquête historique au complet, faite sur des pièces non seulement nationales, mais contradictoires et de source étrangère.