Ceux qui étudient les objets au microscope voient très souvent une « image consécutive » de l’objet, qui persiste quelques instants après qu’ils ont cessé de le regarder. […] Les yeux fermés, pensons fortement à une couleur très vive et tenons-la longtemps fixée devant notre imagination ; par exemple, représentons-nous avec assez de force une croix d’un rouge éclatant ; si, après cela, nous ouvrons brusquement les yeux pour les porter sur une surface blanche, nous y verrons, durant un instant très court, l’image de la croix, mais avec la couleur complémentaire : le vert. […] Le mouvement le plus simple, qui suppose une répétition de soi-même au moins pendant deux instants consécutifs, est déjà une mémoire ; bref, la conservation de la force et, comme conséquence, du mouvement avec une intensité, une direction et une forme déterminées, la somme des produits restant constante malgré la variation possible des facteurs, voilà le fond de l’habitude et aussi de la mémoire, quand on n’en considère par abstraction que le coté extérieur et mécanique. […] En second lieu, l’excitation violente du premier instant manque au souvenir de la douleur, car ce souvenir n’est qu’une excitation produite par une image et non plus par un objet réel : aucune représentation d’un mal de dents ne peut faire vibrer les nerfs dentaires aussi vivement que le mal même.
Est-il en passant, nécessaire de remarquer quelle étrange incompréhension de la langue et de sa plus essentielle phonétique, et de son euphonie, a été, de plusieurs, la suppression dans les vers de l’E muet, — en quoi ils se démontrent sourds aux demi-tonalités et de plus délicates nuances encore… Ainsi dit, nous ne voulons même un instant nous arrêter à étudier l’onde multiple et idéale du Rythme, — qui, pour en avertir maintenant, ne peut provenir de la traditionnelle pauvreté de la règle d’équidistances des temps marqués, dont s’est mesuré le vers. […] La Matière est « une » primordialement, d’une unité amorphe et in-sciente, si nous la prenions, un instant idéal, en son éternité où l’une de l’autre l’Origine et la Fin sont en virtuelle puissance. […] Œuvre qui, retournant au primogène tact sensationnel la digression luxuriante des sensations, des émotions et des idées et les renouvelant dans la phonalité et l’idéogramme primordiaux, de nouveaux associés, — et reprenant tout ainsi qu’aux racines du Monde : d’une part (et tandis que son centre est situé en l’âme et le milieu modernes de l’Individu et des nécessaires agglomérats ethniques gardant le sens de Races, en notre instant), remonte à la Genèse cosmique et à la prime danse du Feu et du Serpent de l’être anthropoïde. […] Lorsqu’en durées évoluantes parmi la durée de l’Alexandrin, l’Idée évolue, la peut-on voir un instant s’astreindre à des retours périodiques de rimes et d’intervalles rigidement déterminés ?
Ce n’est pas seulement à la base de la science que se rencontrent ces notions vulgaires, mais on les retrouve à chaque instant dans la trame des raisonnements. […] « Malheur, écrit un éloquent historien des religions, malheur au savant qui aborde les choses de Dieu sans avoir au fond de sa conscience, dans l’arrière-couche indestructible de son être, là où dort l’âme des ancêtres, un sanctuaire inconnu d’où s’élève par instants un parfum d’encens, une ligne de psaume, un cri douloureux ou triomphal qu’enfant il a jeté vers le ciel à la suite de ses frères et qui le remet en communion soudaine avec les prophètes d’autrefois25 ! […] Nous sommes tellement habitués à nous servir de ces mots, qui reviennent à tout instant dans le cours des conversations, qu’il semble inutile de préciser le sens dans lequel nous les prenons. […] Or, la vie sociale tant qu’elle n’est pas arrivée à s’isoler des événements particuliers qui l’incarnent pour se constituer à part, a justement cette propriété, car, comme ces événements n’ont pas la même physionomie d’une fois à l’autre, d’un instant à l’autre et qu’elle en est inséparable, ils lui communiquent leur mobilité.
Il n’a pas voulu être ou paraître dupe un seul instant, même dans un éloge académique.