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194. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Nous pouvons, pendant que nous percevons du blanc, imaginer du rouge, mais non percevoir du rouge ; cela prouve que l’image a son milieu cérébral et mental différent de la perception complète. […] Si on imagine, à l’exemple de Spencer, une conscience « toute sérielle », qui ne peut saisir qu’un état à la fois, la comparaison et la synthèse des états différents sera impossible dans le souvenir : quand le second état existera, le premier sera entièrement évanoui ; chaque état sera toujours premier, toujours nouveau, et le sentiment de familiarité sera impossible. […] Par exemple, tant qu’un objet nous fait jouir, agit sur nous, la sensation subsiste avec une vivacité continue ; à chaque moment, l’image du plaisir déjà éprouvé et le plaisir nouveau coïncident ; quand, au contraire, l’objet cesse d’agir, il ne reste plus qu’une représentation et appétition de plaisir qui, par l’intensité, demeure au-dessous de notre attente ; le senti ne coïncide plus avec l’imaginé ni avec le désiré. […] Il imagine, du moins à ce qu’il croit, un nouveau début.

195. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Par un privilège de la jeunesse, la douleur est ce qui compte le plus dans toute vie humaine, et ce qui s’imagine le moins bien, quand on n’a pas souffert. […] Dominique s’imagine lutter contre son amour, et il épuise la série des faux semblants de courage, qui ne sont que des occasions de se faire plaindre, et s’éveiller la pitié dans un cœur bien féminin, qui s’indignerait peut-être si on disait : « Aimez-moi », et qui répondra tendrement si on dit : « Plaignez-moi ». […] Et le seul souvenir qui lui reste d’un mois de séjour à l’étranger, imaginez ce que cela peut bien être ? […] « Ni gesticulations, ni cris, ni horreurs, ni trop de larmes… Le Christ est une des plus élégantes figures que Rubens ait imaginées pour peindre un Dieu… Vous n’avez pas oublié l’effet de ce grand corps un peu déhanché, dont la petite tête, maigre et fine, est tombée de côté, si livide et si parfaitement limpide en sa pâleur, ni crispé, ni grimaçant, d’où toute douleur a disparu, et qui descend avec tant de béatitude, pour s’y reposer un moment, dans les étranges beautés de la mort des justes.

196. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

J’imagine que, si le petit Jupiter de la fable avait fait autant de tapage, les corybantes ne seraient pas venus à bout de couvrir sa voix et de cacher son existence au vieux Saturne. […] J’imagine que là même le talent personnel gardera quelques droits. […] Leur œil est fait de telle façon, leur sensibilité est exercée de telle sorte qu’ils voient uniquement certains faits, qu’ils reçoivent uniquement certaines impressions, et j’accorderai volontiers qu’ils sont parfaitement sincères et qu’il ne dépend pas d’eux de considérer autrement et le monde, et la vie ; ils imaginent de la meilleure foi possible que la nature est exactement telle qu’elle leur apparaît et que rien n’existe en dehors de ce qu’ils aperçoivent. […] J’imagine qu’on aurait quelque peine à nous montrer le « document humain » dont on s’est servi en ces occasions.

197. (1896) Écrivains étrangers. Première série

J’imagine que Pascal aurait aimé une philosophie comme celle-là : il y aurait trouvé la préface qu’il désirait à sa théologie. […] J’imagine qu’il a dû rire et gambader d’une joie parfaite, quand l’idée lui est venue d’imprimer sa signature au milieu d’un de ses poèmes. […] On ne saurait imaginer combien, dans leur texte, ces deux sonnets de Mme Lapidoth ont de couleur et d’accent. […] On ne saurait imaginer histoire plus savante, plus impartiale, ni plus complètement dépouillée de tout artifice d’imagination. […] Mais on ne saurait imaginer deux manières plus différentes de faire cet aveu.

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