Il a beau regarder des fleurs, c’est elle qu’il imagine à travers elles ; et les folles splendeurs de la poésie éblouissante regorgent coup sur coup en lui, sitôt qu’il pense à ces ardents yeux noirs198. […] Tous ces traits se réunissent en un seul ; il avait le génie sympathique, j’entends par là que, naturellement, il savait sortir de lui-même et se transformer en tous les objets qu’il imaginait. […] Shakspeare imagine avec abondance et avec excès ; il répand les métaphores avec profusion sur tout ce qu’il écrit ; à chaque instant les idées abstraites se changent chez lui en images ; c’est une série de peintures qui se déroule dans son esprit. […] Au plus fort de sa passion, il imagine encore. […] Que le lecteur compare aux conversations de notre théâtre ce petit poëme, « enfant d’une imagination vaine, aussi légère que l’air, plus inconstante que le vent », jeté sans disparate au milieu d’un entretien du seizième siècle, et il comprendra la différence de l’esprit qui s’occupe à faire des raisonnements ou à noter des ridicules, et de l’imagination qui se divertit à imaginer.
Oui, si par imaginer l’on entend exprimer des sentiments par des images. […] … Que faut-il s’imaginer d’une littérature qui en est réduite à M. […] Vous ne pouvez imaginer, mon cher ami, combien j’ai été surpris en lisant, dans un des derniers numéros de l’Artiste, la lettre de M. […] Champfleury n’a eu aucun effort à faire pour imaginer celle dont il a obtenu des résultats si remarquables. […] Depuis sa mort, un petit groupe de romanciers et de conteurs s’est formé, — ils sont trois ou quatre à peine, — lequel s’est imaginé qu’en appliquant à la reproduction de certains côtés, et plus spécialement du côté matériel et des détails vulgaires de la vie humaine, la quantité d’observations dont tout homme intelligent se trouve pourvu, on arriverait à créer un art nouveau et à rajeunir le roman.
Or, Victor Hugo, vous le savez, n’était pas allé en Orient ; l’Orient qu’il mettait dans ses Orientales, il ne l’avait pas vu ; par conséquent, il l’imaginait, et, si vous voulez, il l’inventait. […] On ne s’imagine guère Lamartine, dans la barque qui voguait sur le lac silencieux, en train de débiter des paradoxes ou de tourner des épigrammes à Elvire. […] Il imagine que lorsque le Christ fut appelé auprès de Lazare, il laissa dans son chemin tomber une larme. […] Cette philosophie est l’une des plus sombres, l’une des plus tristes qui se puissent imaginer. […] Lamartine a une des têtes les plus admirablement inspirées qu’on puisse imaginer ; Victor Hugo avait de la beauté, de la noblesse dans les traits ; Alfred de Vigny avait quelque chose de délicat, de fin ; Musset était séduisant ; Théophile Gautier avait une véritable beauté plastique ; François Coppée, une tête de médaille ; Sully Prudhomme, un charme de grâce, de rêverie.
J’y croyais aussi beaucoup moins quand j’ai commencé à l’étudier sérieusement, et j’imagine qu’alors j’aurais nié et traité de chimère ce qu’on m’aurait dit à ce sujet. […] Continuez toutefois d’omettre la Violette pour l’avenir ; ce n’était naturellement qu’un badinage de ma part de vous donner cette adresse, une mauvaise plaisanterie, si vous voulez, en pensant à Villette 64, d’où je m’imaginais que vous pourriez de temps en temps dater vos lettres. […] Or, entre autres conceptions plus ou moins heureuses dans leur singularité, le poëte a imaginé à un certain moment de personnifier et de figurer le Dieu du Vertige, gardien des hautes cimes. […] On m’avouera que c’est un pas de fait. » C’est par de telles préparations que le poëte, sévère pour lui-même et de moins en moins satisfait en avançant de son personnage romanesque d’Adelghis, qu’il avait imaginé sur des données historiques moins sûres et avant ses dernières études, prenait sa revanche tout à côté, et qu’il se rendait digne de ressaisir, de retracer dans ses vrais linéaments la figure non colossale, mais grande encore, de Charlemagne75. […] Imaginez-vous au lieu de cela un Italien qui écrit, s’il n’est pas Toscan, dans une langue qu’il n’a presque jamais parlée, et qui (si même il est né dans le pays privilégié) écrit dans une langue qui est parlée par un petit nombre d’habitants des l’Italie ; une langue dans laquelle on ne discute pas verbalement de grandes questions ; une langue dans laquelle les ouvrages relatifs aux sciences morales sont très-rares et à distance ; une langue qui (si l’on en croit ceux qui en parlent davantage) a été corrompue et défigurée justement par les écrivains qui ont traité les matières les plus importantes dans les derniers temps ; de sorte que, pour les bonnes idées modernes, il n’y aurait pas un type général d’expression dans ce qu’on a fait jusqu’à ce jour en Italie.