Pendant que les passions politiques et religieuses tournaient la poésie, l’éloquence, la science même et la philosophie en armes envenimées au service des partis, un homme anticipait la paix future, et offrait à ses concitoyens trop forcenés encore pour le suivre l’image de l’état moral où la force des choses devait finir par les amener eux-mêmes. […] De vives images, d’imprévues alliances de mots, voilà tout le secret du charme de Montaigne : je n’en cite pas d’exemples ; qu’on ouvre les Essais à n’importe quelle page, et qu’on lise.
Plus d’un poète prend pour des idées des images confuses, et à force de raffiner devient inintelligible. […] Ses images toujours pleines de vérité et de vie sont plutôt indiquées que développées, et c’est avec un goût tout à fait hellénique qu’il dirige l’attention du lecteur.
Ni les ardeurs combattues de Didon, ni les langueurs d’Épicharis n’ôtent du prix à la peinture de Virginie perdant la sérénité et le sourire, gaie tout à coup sans joie et triste sans chagrin, n’osant plus arrêter ses yeux sur ceux de Paul, se dérobant à ses caresses qu’autrefois elle cherchait, s’éloignant de la maison, fuyant dans la solitude pour éviter Paul et ne s’y trouvant que plus en sa présence ; puis revenant auprès de sa mère, « pour lui demander un abri contre elle-même », et se dérober dans son sein à l’image aimée dont elle n’ose plus parler. […] Il y a une belle description de tempête au moment même des premiers troubles des deux amants ; mais elle est moins belle comme peinture de phénomènes inconnus à l’ancien monde, que par l’à-propos des images de destruction qu’elle mêle à nos pressentiments sur la destinée de ces deux jeunes cœurs, où gronde l’orage des passions humaines.
Et, sans m’arrêter à demander de quel droit des particuliers qui donnent une fête à leurs amis s’avisent de voiler les monuments publics, je dirai que si, en effet, cette misérable orgie a lieu, ce ne sont point les images des despotes qui doivent être couvertes d’un crêpe funèbre, c’est le visage de tous les hommes de bien, de tous les Français soumis aux lois, insultés par les succès de soldats qui s’arment contre les décrets et pillent leur caisse militaire. […] Mais, tout à coup, devant les yeux lui repasse l’image des horreurs publiques, et alors le sentiment vertueux et stoïque revient dominer le sentiment poétique et tendre.