Complexe chair offerte à la virilité, Femme, amphore profonde et douce où dort la joie, Toi que l’amour renverse et meurtrit, blanche proie, Œuf douloureux où gît notre pérennité, Femme qui perds la vie au soir où ta jeunesse Trépasse, et qui survis, pour des jours superflus, Te débattant, passé qu’on ne regarde plus, Dans le noir du Destin où ton être se blesse, Humanité sans force, endurante moitié Du monde, ô camarade éternelle, ô moi-même, Femme, Femme, qui donc te dira que je t’aime D’un cœur si gros d’amour, et si lourd de pitié ! […] Sur ces thèmes immortels, qui vaudront toujours ce que vaut l’Humanité, et dureront autant qu’elle, puisqu’ils composent la matière de ses angoisses et de ses espoirs : Brièveté des heures, Beauté fugace, Inconstance du sentiment, pourquoi Mme Lucie Delarue donne-t-elle une note si puissante ? […] Je n’accepterai pas, en mon humanité Animale, où l’esprit n’est point, ta magie noire ; Ton égoïste événement dans notre histoire, Je le repousse avec toute ma charité. […] Il faut tenir compte de cette nuance : avoir conçu, en s’en créant un premier titre à la gloire, une métaphysique de l’amour qui repose toute sur l’observation désenchantée de ses exigences physiologiques ; en avoir déduit, dans une langue aussi claire qu’impérieuse, des servitudes qui s’imposent à l’humanité suivant la rigueur implacable de l’antique destinée… puis rencontrer soudain dans l’œuvre rapprochée de cinq auteurs femmes qui n’eurent guère entre elle que ce point commun, je ne dis pas seulement la confirmation, mais une manière d’hymne enthousiaste à vos plus solides croyances, n’est-ce pas là de quoi brouiller le meilleur regard, intervertir les opinions du plus robuste misogyne ? […] Ce sont l’Ordre, reposant tout entier sur le principe d’autorité, qui maintient entre les divers membres du groupe, comme entre les pièces d’un organisme savamment assemblées, les rapports de dépendance et de hiérarchie propres à assurer leur fonctionnement… La Morale, qui envisage l’être individuel, comme un composé d’instincts bons et mauvais, entre lesquels se poursuit une lutte sans trêve, les uns conservateurs, les autres destructeurs de la personnalité, répondant de façon frappante d’ailleurs à cette théorie biologique de la Phagocytose, ou lutte entre les bons et mauvais microbes qui constituent l’être physique et rivalisent entre eux pour la destruction ou la durée de celui-ci… La Religion, enfin, qui reposant au fond sur l’idée kantienne, perçue bien avant Kant, de la relativité de la connaissance, propose l’hypothèse d’une Destinée supra-terrestre, laquelle peut seule donner un sens à la vie… la Religion, le plus puissant de tous les freins, assise même de l’ordre social, sur laquelle durant tant de siècles s’appuya l’édifice, et dont un penseur de nos jours a pu dire, en termes d’autant plus saisissants qu’il n’y voyait que le dernier soutien de cet ordre compromis : « On peut évaluer son apport dans nos sociétés modernes, ce qu’elle y a introduit de pudeur, de douceur et d’humanité, ce qu’elle y entretient d’honnêteté, de bonne foi et de justice. » Veut-on maintenant qu’au type normal nous opposions son contraire ?
Il faut au romancier plus de sympathie pour l’humanité et une âme moins étroite. […] Flaubert montra toujours de la prédilection pour un certain genre d’études qui n’attirent guère aujourd’hui que les intelligences raffinées et curieuses : l’apologétique chrétienne, l’histoire de l’Église, les Pères, les humanités. […] En somme, je tiens Zola pour un pessimiste et je crois qu’il voit l’humanité plus laide, plus cynique et plus basse qu’elle n’est. […] Aussi les Anglais n’ont-ils pas produit un Don Quichotte, c’est-à-dire une épopée de la vie réelle, qui puisse être comprise par l’humanité entière. […] Elle se donne pour objet de ses observations, non pas les brillantes créatures d’exception si chères aux romantiques, mais la généralité des individus, les personnages communs et vulgaires, la classe moyenne de l’humanité.
Mais le pire de sa condition était peut-être ceci : il pensait que l’humanité se partageait en deux races, les Hellènes, dont il aurait voulu être, et les Nazaréens, dont il était. […] Comme ils se sont penchés sur les plus humbles représentants de l’humanité, les lakistes se sont penchés sur les aspects les plus simples de la campagne. […] Dans le lyrisme, expression plus spontanée de sa conscience profonde, il est resté fidèle à cette forme de l’esprit latin qui répugne au dilettantisme et qui considère qu’aucun citoyen n’a le droit de se soustraire aux devoirs qu’exige la cité, aucun homme aux devoirs qu’impose l’humanité. […] Et le vieil Homère, qui n’est autre chose que la conscience collective d’un peuple, qui n’est autre chose que la conscience collective de l’humanité, prenant forme et voix… Cette pensée était si hardie, et paraissait si répugnante à des philosophes enivrés de raison, qu’ils refusèrent de l’accepter, de l’entendre, et que longtemps elle sommeilla dans l’obscur. […] Si, parmi les éléments complexes qui contribuent à former le type nouveau d’humanité dont le dix-huitième siècle voit la naissance et le triomphe, elle trouvait une place même modeste ?
. — Mais, que toutes ces observations n’empêchent pas Montesquieu d’avoir fait entrer dans le domaine de la littérature tout un ordre d’idées qui n’en faisait point partie ; — d’avoir esquissé le premier une philosophie de l’histoire purement laïque ; — d’avoir entrevu les analogies de l’histoire avec l’histoire naturelle ; — et, à un point de vue plus général, d’avoir éloquemment exprimé, — sur la liberté, — sur la tolérance, — et sur l’humanité, — des idées qui ne sont point, même de nos jours, aussi banales et aussi répandues qu’on le dit. — Succès de l’Esprit des lois, tant à l’étranger qu’en France ; — et si les défauts du livre n’y ont pas contribué autant que ses qualités ? […] Carrière militaire et campagnes de Vauvenargues ; — son amour de la gloire ; — sa générosité de cœur ; — et son amour de l’humanité. — Comparaison à cet égard de Vauvenargues et de La Rochefoucauld. — Si Vauvenargues a une doctrine ? […] Entre les mains de Voltaire l’histoire est d’abord devenue, de purement annalistique ou polémique qu’elle était, véritablement narrative, ce qui implique : — le choix du sujet, en tant que capable d’intéresser tout le monde, et non pas seulement les érudits ; — la distinction des faits, en tant qu’il y en a d’encombrants, d’inutiles, ou d’ingrats, qu’on élimine ; — et une continuité d’intérêt, qui ne s’obtient qu’au moyen de l’art, et du parti pris. — C’est comme si l’on disait qu’en second lieu, d’érudite ou de savante, Voltaire a rendu l’histoire proprement littéraire, ce qui implique : — le souci de la disposition des parties et du style ; — un rappel constant de l’intérêt que les choses passées offrent encore aux gens d’aujourd’hui ; — et par suite, une perpétuelle sollicitation à penser. — Et enfin, d’indifférente à son propre contenu, Voltaire a rendu l’histoire philosophique, ce qui implique : — la subordination des faits aux conséquences qui en sont résultées ; — l’appréciation de ces faits par un rapport à un idéal donné ; — et la détermination de cet idéal par rapport à une conception de la vie et de l’humanité. […] Les fragments de l’Hermès ; — et qu’il n’est pas malaisé d’y reconnaître les mêmes caractères, — et d’en signaler d’autres qui sont également du xviiie siècle. — Tout imprégné des idées de Buffon, André Chénier s’y fût montré l’interprète enthousiaste de la philosophie de son temps ; — et déjà le poète de la « concurrence vitale ». — Il y eût expliqué, comme Voltaire et comme Condorcet, l’origine des religions ; — en les accusant de la plupart des maux qui ont désolé l’humanité ; — et en reprochant aux « prêtres » de les avoir exploitées. — Enfin, dans son troisième chant, disciple de Condillac, — il eût développé la doctrine de la « sensation transformée » ; — proclamé d’ailleurs la tendance invincible de l’homme « à la vertu et à la vérité » ; — et terminé par un hymne à la « science » [Cf. […] VI et VII]. — Il domine maintenant de plus haut sa matière. — Les vues nouvelles abondent dans son œuvre. — Il écrit les Époques de la nature ; — et à mesure qu’il est plus convaincu de la petitesse de l’homme dans la nature ; — de l’humilité de notre condition ; — et de la généralité des lois qui nous gouvernent, — on dirait qu’il sent davantage le prix de la société ; — ce qui le remet d’accord avec les idées générales de ses contemporains ; — et avec cette religion de l’humanité dont ils sont maintenant tous imbus.