Les hommes de ma génération lui doivent peu de chose ; ceux qui suivront ne lui devront rien. […] Et aussitôt, les hommes reconnaissent que cette merveille leur est née : un poète vraiment inspiré, un poète comme ceux des âges antiques, ce « quelque chose de léger, d’ailé et de divin » dont parle Platon. Ce poète, aussi peu « homme de lettres qu’Homère, ce qu’il exprimait sans effort, c’était tous les beaux sentiments tristes et doux accumulés dans l’âme humaine depuis trois mille ans : l’amour chaste et rêveur, la sympathie pour la vie universelle, un désir de communion avec la nature, l’inquiétude devant son mystère, l’espoir en la bonté du Dieu qu’elle révèle confusément ; je ne sais quoi encore, un suave mélange de piété chrétienne, de songe platonicien, de voluptueuse et grave langueur. […] Rappellerai-je que ce roi de l’élégie amoureuse et religieuse est aussi le poète de la Marseillaise de la paix, des Révolutions, des Fragments du livre antique ; que nul n’a plus aimé les hommes, ni annoncé avec une éloquence plus impétueuse l’Evangile des temps nouveaux ; qu’il a fait Jocelyn, cette épopée du sacrifice et le seul grand poème moderne que nous ayons ; que nul n’a exprimé comme lui la conception idéaliste de l’univers et de la destinée, et qu’enfin c’est dans Harold, dans Jocelyn et dans la Chute d’un Ange que se trouvent les plus beaux morceaux de poésie philosophique qui aient été écrits dans notre langue ? […] Le jour où, acculé contre une petite porte de l’Hôtel-de-Ville, monté sur une chaise de paille, visé par des canons de fusils, la pointe des sabres lui piquant les mains et le forçant à relever le menton, gesticulant d’un bras tandis que de l’autre il serrait sur sa poitrine un homme du peuple, un loqueteux qui fondait en larmes le jour où, tenant seul tête à la populace aveugle et irrésistible comme un élément, il l’arrêta — avec des mots — et fit tomber le drapeau rouge des mains de l’émeute la fable d’Orphée devint une réalité, et Lamartine fut aussi grand qu’il ait jamais été donné à un homme de l’être en ses jours périssables.
Un aimable homme, un Parisien de Lyon, qui passait par là, s’en aperçut. […] Je dis plus : mérite-t-il le nom d’homme ? […] D’abord, cette fleur d’illusion, cette ignorance des hommes et des choses. […] Il va souffrir, et je le plains ; car c’est évidemment un brave homme. […] Et je suis bien sûr que l’abbé Roux, même après sa préface, vaut encore mieux, moralement, que les neuf dixièmes des hommes de lettres.
Autrefois, un écrivain était le plus souvent un honnête homme qui faisait des livres, et qui, le reste du temps, vivait comme les autres hommes ; et cela d’autant mieux qu’il avait besoin, pour réussir, de se mêler à la société polie de son temps, et de se distinguer d’elle le moins possible. […] Ils commencent par croire, — d’une foi étroite et furieuse de fanatiques, — premièrement, que la littérature est la plus noble des occupations humaines et la seule convenable à leur génie ; que les autres métiers, la culture de la terre, l’industrie, les sciences et l’histoire, la politique et le gouvernement des hommes sont de bas emplois et qui ne sauraient tenter que des esprits médiocres ; et, secondement, que c’est eux, au fond, qui ont inventé la littérature. […] Les réunions d’hommes de lettres furent charmantes autrefois. […] répondit Jouveroy, je ne me plais qu’avec les gens qui s’embêtent. » La Bruyère dit en parlant de certains financiers : « De telles gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes : ils ont de l’argent. » Je dirais volontiers des pareils de Servaise : « Ils ne sont ni chrétiens, ni citoyens, ni amis, ni parents, ni peut-être des hommes : ce sont des littérateurs chacun d’une religion littéraire distincte à laquelle il est seul à croire, et qu’il est seul à comprendre quand il la comprend ». […] Un sublime écrivain n’en peut être infesté ; C’est un vice qui suit la médiocrité… Et encore : Que les vers ne soient pas votre éternel emploi, Cultivez vos amis, soyez homme de foi.
Le vulgaire des courtisans comprend les hommes dénués de mérite et pétris de vanité, qui, tourmentés du besoin d’importance à défaut de considérai ion, sollicitent, et se contentent de recevoir à genoux quelques reflets de la puissance suprême. […] Les courtisans de ce genre ont eux-mêmes leurs courtisans parmi les hommes du plus haut rang. Les hommes de génie dans les lettres peuvent être courtisans des rois, et avoir eux-mêmes des rois pour courtisans. […] Pour les hommes vulgaires, les rois sont des sources de fortunes particulières et rien de plus. Pour les hommes a grandes pensées, ils sont des instruments d’une puissance incomparable pour l’accomplissement d’illustres desseins.