Nous ne parlons pas du Sacrifice d’Abraham, une grande diablesse d’histoire dont Rembrandt est le héros, laquelle n’a pas de raison pour être plutôt dans ce volume que dans tout autre volume de nouvelles, et qui en aurait une que je sais bien de n’y être pas… Enfin, dans les Contes de la montagne, où l’auteur se détire de son fantastique et commence de s’en dégager, vous ne trouverez que deux contes de cette espèce : Le Violon du pendu et L’Héritage de mon oncle Christian, aussi faibles d’ailleurs que tout le reste ; car pour le Conte qui a presque proportion de roman, et qui envahit, à lui seul, tout le volume, ce très beau Conte de Hugues-le-Loup, je ne le mets point parmi les tentatives fantastiques de l’auteur, malgré la donnée somnambulique qui en fait le dénouement et qui a été si rabâchée depuis Shakespeare, mais je le place plutôt parmi les autres récits, où le talent d’Erckmann-Chatrian, son talent réel et lumineux, — son talent antifantastique — s’est montré avec le plus de suite et d’éclats.
En Espagne, vous trouverez Ferdinand-le-Catholique, qui chassa et vainquit les rois Maures, et trompa tous les rois chrétiens ; Charles-Quint, heureux et tout-puissant, politique par lui-même, grand par ses généraux, et cette foule de héros dans tous les genres qui servaient alors l’Espagne ; Christophe Colomb, qui lui créa un nouveau monde ; Fernand Cortez qui, avec cinq cents hommes, lui soumit un empire de six cents lieues ; Antoine de Lève qui, de simple soldat, parvint à être duc et prince, et plus que cela grand homme de guerre ; Pierre de Navarre, autre soldat de fortune, célèbre par ses talents, et parce que le premier il inventa les mines ; Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand Capitaine, mais qui put compter plus de victoires que de vertus ; le fameux duc d’Albe, qui servit Charles-Quint à Pavie, à Tunis, en Allemagne, gagna contre les protestants la bataille de Mulberg, conquit le Portugal sous Philippe II, mais qui se déshonora dans les Pays-Bas, par les dix-huit mille hommes qu’il se vantait d’avoir fait passer par la main du bourreau ; enfin, le jeune marquis Pescaire, aimable et brillant, qui contribua au gain de plusieurs batailles, fut à la fois capitaine et homme de lettres, épousa une femme célèbre par son esprit comme par sa beauté, et mourut à trente-deux ans d’une maladie très courte, peu de temps après que Charles-Quint eut été instruit que le pape lui avait proposé de se faire roi de Naples.
Il a mis dans ses vers toute sa famille : il y a mis son père, « ce héros au sourire si doux » ; sa mère, dont il fait, bien gratuitement, une brigande vendéenne ; son frère, qui s’appelait Eugène : il s’y est mis lui-même, avec ses souvenirs d’enfance, avec les émotions de son foyer ; il y a mis sa femme, il y a mis ses enfants. […] Mais d’ailleurs, à travers tous ces recueils, comme dans ceux qui suivront, celui qui est le héros de Victor Hugo, c’est Napoléon. […] Il faut que notre sensibilité s’émeuve, il faut que le héros s’achève en martyr ; et pour le cas de Napoléon, ce n’est pas Arcole, ce n’est pas Austerlitz, c’est le désastre final, c’est l’agonie qui va donner l’essor à la légende. […] Elle n’éprouve pas le besoin de faire du tapage et d’ameuter les gens, elle ne se drape pas dans sa vertu, elle ne se pose pas en héroïne, parce qu’elle a fait son devoir : une honnête femme, jusque dans sa vertu, met de la simplicité, de la bonne grâce et de l’esprit. […] Mais Alfred de Musset l’a répété sous toutes sortes de formes, en cent manières ; il a, pour ainsi dire, le culte de l’amour, et c’est pourquoi il célèbre ceux et celles qui en ont été les victimes, les héros, les héroïnes.
» Mais, à l’époque où Jean Papadiamantopoulos était un adolescent d’Athènes, il n’y avait point à se signaler comme un héros. […] Ainsi, ce n’est pas de l’événement tragique que nous serons émus, effarés, affligés, mais du sort de quelque héros ou de quelque héroïne. […] … Michel Aubier, du Retour de Jérusalem, n’est pas un héros. […] Les héroïnes de Maurice Donnay ne sont pas divines ; elles ne sont pas perverses non plus. […] Et le voici comparable à ces aèdes de l’ancienne Grèce qui, peu à peu, enrichissant le texte d’Homère, composèrent d’une pensée multiple et variée l’histoire des dieux et des héros.