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975. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Un officier qui a pris part à la grande guerre nous disait qu’il avait toujours vu les soldats redouter les balles plus que les obus, quoique le tir de l’artillerie fût de beaucoup le plus meurtrier. […] Encore enfant en 1871, au lendemain de la guerre, j’avais, comme tous ceux de ma génération, considéré une nouvelle guerre comme imminente pendant les douze ou quinze années qui suivirent. Puis cette guerre nous apparut tout à la fois comme probable et comme impossible : idée complexe et contradictoire, qui persista jusqu’à la date fatale. […] Jupiter lui-même était Fulgur, Feretrius, Stator, Victor, Optimus maximus ; et c’étaient des divinités jusqu’à un certain point indépendantes ; elles jalonnaient la route entre le Jupiter qui envoie la pluie ou le beau temps et celui qui protège l’État dans la paix comme dans la guerre. […] La guerre devenait une lutte entre divinités rivales.

976. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

De là, la guerre de cent ans ; et Jeanne d’Arc sauvant la patrie prend une grandeur symbolique : c’est le peuple français à la rescousse. […] Les lois ne font que consacrer une étape dans l’évolution des mœurs ; jamais un arrêt du Parlement n’aurait mis fin aux mistères, si ceux-ci avaient encore répondu à un besoin de l’esprit général (on l’a bien vu au xviiie  siècle dans la guerre des théâtres) ; de fait, les mistères végéteront, malgré la loi, pendant une cinquantaine d’années, et s’ils meurent, c’est d’épuisement, de mort naturelle. […] La guerre sourde avec Corneille est bien connue, elle n’est qu’un symptôme ; il y a plus que la rivalité de deux auteurs, il y a l’opposition de deux systèmes : le roman (action compliquée, extérieure) et le drame (action simple, intérieure). […] La guerre déclarée aux classiques obligeait les Romantiques à affronter le théâtre ; il fallait vaincre Corneille et Racine ! […] En France, c’est Napoléon III, auquel on commence à rendre justice ; puis les débuts de la troisième République, difficiles et héroïques ; un travail immense, que la guerre de 1870 semble scinder en deux par une catastrophe ; et si c’était une nécessité heureuse ?

977. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Le but que poursuit la Grèce dans ses institutions et ses guerres, c’est de s’ordonner tout entière sur le plan de l’Iliade. […] Le génie militaire de César, dans ses guerres des Gaules, est impitoyable, féroce, sans générosité comme le caractère romain ; la prudence, le calcul politique l’adoucissent dans les guerres civiles, mais son plus noble sentiment reste encore, celui qui fit le ressort de toute œuvre romaine, c’est-à-dire l’orgueil. […] Une éternelle guerre divisera la poésie sérieuse de la poésie légère, comme elle divise les âmes enthousiastes des esprits ironiques. […] Elle songeait moins à devenir une œuvre d’art durable, qu’à être une grande machine de guerre : quitte à s’écrouler elle-même avec les abus qu’elle aurait détruits et les ruines qu’elle aurait, faites. […] Si donc on apprécie la littérature de ce temps, dans ce qu’elle était en réalité, c’est-à-dire une grande machine de guerre dressée contre l’ancien monde, on doit reconnaître qu’elle a possédé toutes les qualités qui devaient la rendre irrésistible ; elle eut, dans cette guerre, une discipline, une unité d’action sans pareille dans l’histoire.

978. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Qui voudrait se baisser pour ramasser au coin de la borne, où il versait sa hotte chaque soir, le trop-plein de ce bouffon qui avait déclaré une guerre à mort au rossignol ? […] Achille, Ajax, Ulysse, Agamemnon, Hector et Pâris, toute la guerre des dix années, et tant de héros qui se sont battus contre les dieux à la clarté du jour, notre Athénien les donnerait pour le poème et pour le poète qui les a faits immortels. […] Évidemment, il était né pour la guerre ; il s’appelait lui-même agathos (bon, brave à la guerre), comme dans les Racines grecques ; c’est pourquoi il voulut se faire avocat. […] Heureusement que notre guerrier avait au moins un nom de guerre : Belcombe ! […] Monteil, dans sa pensée et plus tard dans ses livres, déclara une guerre acharnée à ce qu’il appelait dédaigneusement l’histoire bataille, et ce n’est pas sans un certain plaisir que l’on voit cet implacable ennemi de l’histoire bataille installé dans la chaire d’histoire de l’École militaire au commencement de ces guerres terribles et de ce gigantesque empereur.

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