C’est plaisir de s’approcher de lui : il inspire l’amitié en même temps qu’il justifie sa gloire. […] Il ressentit vivement et profondément ce que la France éprouva à cette heure de gloire indicible et d’infortuné ; il l’exprima sous toutes les formes, promptes, aisées, touchantes, saisissantes, qui parlaient aux yeux et allaient au cœur de tous. […] Et cependant, s’il y ressongeait quelquefois, retrouva-t-il jamais, même dans les triomphes que lui ménageait l’avenir, même dans les années de son ambassade académique à Rome, même dans ses vaillantes campagnes à l’armée d’Afrique, même dans sa haute faveur à la Cour de Russie, retrouva-t-il jamais ce premier entrain, cette fraîcheur et cet enchantement des dix premières années de sa carrière, lorsqu’il semblait que l’âme de la jeune armée expirante en 1814 et 1815 eût passé en lui et sur ses toiles, lorsque tout était jeune autour de lui, que ces brillants officiers des derniers jours de notre gloire n’étaient pas encore devenus de vieux beaux ou des invalides plus ou moins illustres, lorsque l’Art lui-même s’avançait personnifié dans un jeune groupe à physionomies distinctes, mais avec tout l’incertain et l’infini des destinées : Delacroix, Delaroche, Schnetz, Léopold Robert, Sigalon, Schefler, tous figurant au Salon de 1824, et Horace Vernet comme un frère d’armes au milieu d’eux !
Sa carrière militaire s’était faite de bonne heure sous les yeux du roi, jeune alors, avide de gloire et attentif aux excellents sujets76. […] Si le major général est réduit à sa charge, et que l’estime, l’amitié, l’amour de la patrie et de la gloire ne l’unissent point avec le général, la machine ne se meut que lourdement, et la présence d’une seule personne étant impossible en tous lieux dans le même instant, on ne peut remédier aux accidents parce qu’on ignore l’intention du général. […] « Quel jour pour l’Europe que le 20 septembre 1681, et quel point de gloire pour le roi et pour vous !
Il va plus loin, il jette le câble électrique, il établit la chaîne : « Qui nous dit que ces mondes et leurs humanités ne forment pas dans leur ensemble une série, une unité hiérarchique, depuis les mondes où la somme des conditions heureuses d’habitabilité est la plus petite jusqu’à ceux où la nature entière brille à l’apogée de sa splendeur et de sa gloire ? […] Pour lui, il n’hésite pas à le proclamer, « l’ordre préside au cosmos des intelligences et au cosmos des corps ; le monde intellectuel et le monde physique forment une unité absolue ; l’ensemble des humanités sidérales forme une série progressive d’êtres pensants, depuis les intelligences d’en bas, à peine sorties des langes de la matière, jusqu’aux divines puissances qui peuvent contempler Dieu dans sa gloire et comprendre ses œuvres les plus sublimes. » C’est ainsi que tout s’explique en s’harmonisant. […] Jeunes, la poésie nous ravit ; les Étoiles de Lamartine, ces fleurs du ciel dont le lis est jaloux , suffisent à peine à symboliser nos imaginations, nos visions d’amour et de tendresse : à l’âge où le sang se refroidit dans les veines, il est doux, d’une douceur sévère, de connaître par leurs noms, d’épeler quelques-uns des astres qui roulent sur nos têtes, de distinguer ceux qui errent véritablement de ceux qui sont fixes par rapport à nous, de s’orienter, de se démêler à travers les cercles brillants ou les traînées lumineuses, de soupçonner dans ces abîmes d’en haut, dans ces profondeurs étincelantes où nous sommes plongés, tout ce qui peut se produire à l’infini d’étranger à nous, de différent de nous ; de ramener nos passions, nos désirs, nos gloires à ce qu’elles sont, de se dire le peu qu’on est, mais de sentir aussi que ce peu a réfléchi un moment, la puissance créatrice universelle, éternelle, — l’infini presque ou du moins l’incommensurable et l’immense24.
Là, pourtant, fut la souche première dont tout le reste est sorti ; la matière toute neuve dont, avec le temps et l’art, il forma sa gloire. […] On serait tenté un moment de le croire, et même M. de Chateaubriand va, selon moi, trop loin quand il dit : « Nous étions bien stupides sans doute, mais du moins nous avions notre rapière au vent… » Cependant je tourne la page, et je vois qu’il semble prendre fait et cause pour l’émigration : « On crie maintenant contre les émigrés, dit-il ; à l’époque dont je parle, on s’en tenait aux vieux exemples, et l’honneur comptait autant que la patrie. » Encore un coup, avons-nous affaire à l’émigré convaincu et resté croyant à son droit, ou à l’émigré qui s’appelle lui-même stupide, et qui a l’air de se moquer de tout ce qu’il a enduré alors pour la plus grande gloire de la monarchie ? […] Or, une telle imagination est précisément le don et la gloire de M. de Chateaubriand ; il est curieux de voir combien, à ce miroir brillant, il s’est inexactement souvenu de ses propres impressions antérieures, et comme il leur a substitué, sans trop le vouloir, des impressions de fraîche date et toutes récentes.