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572. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Il est frappé avant tout de ce qui est singulier, et l’un des souvenirs les plus mémorables qu’il ait gardés du collège est celui du professeur de philosophie Crassot, à la chevelure et à la barbe incultes, vêtu comme un cynique : « Il avait, ajoute Marolles, une chose bien particulière et que je n’ai vue qu’en lui seul, qui était de plier et de redresser ses oreilles quand il voulait, sans y toucher. » De tout temps Marolles aimera à niaiser, à enregistrer tout ce qui s’offre, tout ce qui passe à sa portée, raretés ou balivernes, le philosophe Crassot ou la chanteuse des rues Margot la musette, — le baptême des six Topinamboux, ou une réception des chevaliers du Saint-Esprit. […] Heureux ceux qui sont d’un pays, d’une province, qui en ont le cachet, qui en ont gardé l’accent, qui font partie de son caractère et de son histoire !

573. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Ainsi encore, à propos des attaques dernières dont Les Époques de la nature furent l’occasion, et de je ne sais quel manuscrit de Boulanger qu’on l’accusait d’avoir pillé : « Il vaut mieux, disait-il, laisser ces mauvaises gens dans l’incertitude, et comme je garderai un silence absolu, nous aurons le plaisir de voir leurs manœuvres à découvert… Il faut laisser la calomnie retomber sur elle-même. » À M. de Tressan qui s’était, un jour, ému et mis en peine pour lui, il répondait : « Ce serait la première fois que la critique aurait pu m’émouvoir ; je n’ai jamais répondu à aucune, et je garderai le même silence sur celle-ci. » Ainsi pensait-il, et il ne se laissait pas détourner un seul jour du grand monument qu’il édifiait avec ordre et lenteur, et dont chaque partie se dévoilait, successivement à des dates régulières et longtemps à l’avance assignées.

574. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir a l’histoire de mon temps. Par M. Guizot »

Il a peu gardé de son calvinisme primitif dans tout ce qui tient au dogme ou à l’histoire ; on s’en aperçoit assez évidemment aujourd’hui ; la singulière brochure qu’il vient de lancer en ce moment même, sans aucune nécessité, pour sa propre satisfaction, et qui n’est autre qu’un manifeste de fusion protestante avec Rome, le dit assez haut, et ses coreligionnaires ont tout droit de lui en vouloir14. Il a gardé pourtant de sa secte originelle (je parle du temps où il était au pouvoir et avant la mode des fusions) quelque chose de très marqué : c’est la faculté ou la disposition que j’appellerai exclusive.

575. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Ceux qui l’ont entendu alors ont gardé la meilleure impression de son esprit, de son goût, de l’élégance et de la vivacité de sa parole : l’éloquence proprement dite serait venue avec un peu plus de chaleur. […] Ainsi, après avoir enregistré quelque interdiction légale, dont l’application s’était faite le jour même, il passait brusquement, sans transition, à des nouvelles de l’autre monde et des pays transatlantiques : « Le Pérou vient de déclarer la guerre à l’Équateur… » ou bien : « On n’apprendra pas sans intérêt que la route qui vient d’être ouverte entre San-Francisco et la Nouvelle-Orléans abrégera d’une semaine le temps exigé naguère, etc. » Puis venait l’histoire des oiseaux du Palais de Cristal à Londres, les perroquets et les perruches qu’on avait représentés dans le catalogue comme d’excellents parleurs, et qui, « intimidés apparemment par la présence du public, ont gardé le silence » ; de jolies malices enfin, un peu renouvelées de Swift, mais accommodées à la française.

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