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929. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Il a laissé des chants immenses et magnifiques, marqués d’un incomparable cachet de génie et de sublimité, lesquels recueillis, transmis, altérés aussi de bouche en bouche, ont été restitués, rassemblés et fixés à un certain moment. […] On l’a dit, après créer et enfanter des œuvres de génie, il reste encore quelque chose de digne et de beau, c’est de les sentir et de les faire admirer. […] Les comparaisons, si l’on pouvait s’y étendre et citer, seraient un autre champ bien vaste, et où l’on ferait ressortir dans toute sa variété le caractère de génie du poëte. […] Ce que j’ai le plus à cœur de signaler comme fruit à recueillir dans le commerce familier avec le plus héroïque des génies, c’est l’impression morale, à entendre ce mot largement.

930. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Les efforts s’accroissent toujours en proportion de la récompense ; et lorsque la nature du gouvernement promet à l’homme de génie la puissance et la gloire, des vainqueurs dignes de remporter un tel prix ne tardent point à se présenter. […] La morale est inépuisable en sentiments, en idées heureuses pour l’homme de génie qui sait s’en pénétrer ; c’est avec cet appui qu’il se sent fort, et s’abandonne sans crainte à son inspiration. […] Dans ce qui caractérise l’éloquence, le mouvement qui l’inspire, le génie qui la développe, il faut une grande indépendance, au moins momentanée, de tout ce qui nous environne ; il faut s’élever au-dessus du danger, s’il existe, au-dessus de l’opinion que l’on attaque, des hommes que l’on combat, de tout, hors sa conscience et la postérité. […] L’homme le plus ardent pour ce qu’il souhaite, lorsqu’il est doué d’un génie supérieur, se sent au-dessus du but quelconque qu’il poursuit ; et cette idée vague et sombre revêt les expressions d’une couleur qui peut être à la fois imposante et sensible.

931. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

L’amour de la gloire peut s’abandonner ; la colère, l’enthousiasme d’un héros ont quelquefois aidé son génie ; et quand ses sentiments étaient honorables, ils le servaient assez ; mais l’ambition n’a qu’un seul but. […] Ce dernier sentiment est presque aussi rare que le génie, et presque jamais il n’est séparé des grands talents qui font son excuse ; comme si la Providence, dans sa bonté, n’avait pas voulu qu’une telle passion put être unie à l’impossibilité de la satisfaire, de peur que l’âme n’en fut dévorée : mais l’ambition au contraire est à la portée de la majorité des esprits, et ce serait plutôt la supériorité que la médiocrité qui en éloignerait ; il y a d’ailleurs une sorte de réflexion philosophique, qui pourrait faire illusion aux penseurs mêmes sur les avantages de l’ambition, c’est que le pouvoir est la moins malheureuse de toutes les relations qu’on peut entretenir avec un grand nombre d’hommes. […] Si vous supposez, au contraire, à l’homme ambitieux un génie supérieur, une âme énergique, sa passion lui commande de réussir ; il faut qu’il courbe, qu’il enchaîne tous les sentiments qui lui feraient obstacle ; il n’a pas seulement à craindre la peine des remords qui suivent l’accomplissement des actions qu’on peut se reprocher, mais la contrainte même du moment présent est une véritable douleur. […] Les palmes du génie tiennent à une respectueuse distance de leur vainqueur ; les dons de la fortune rapprochent, pressent autour de vous, et comme ils ne laissent après eux aucun droit à l’estime, lorsqu’ils vous sont ravis, tous vos liens sont rompus, ou si quelque pudeur retient encore quelques amis, tant de regrets personnels reviennent à leur pensée, qu’ils reprochent sans cesse à celui qui perd tout, la part qu’ils avaient dans ses jouissances, lui-même ne peut échapper à ses souvenirs ; les privations les plus douloureuses sont celles qui touchent à la fois à l’ensemble et aux détails de toute la vie.

932. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

La vanité des hommes supérieurs les fait prétendre aux succès auxquels ils ont le moins de droit ; cette petitesse des grands génies se retrouve sans cesse dans l’histoire ; on voit des écrivains célèbres ne mettre de prix qu’à leurs faibles succès dans les affaires publiques ; des guerriers, des ministres courageux et fermes, être avant tous flattés de la louange accordée à leurs médiocres écrits ; des hommes, qui ont de grandes qualités, ambitionner de petits avantages : enfin, comme il faut que l’imagination allume toutes les passions, la vanité est bien plus active sur les succès dont on doute, sur les facultés dont on ne se croit pas sûr ; l’émulation excite nos qualités véritables ; la vanité se place en avant de tout ce qui nous manque ; la vanité souvent ne détruit pas la fierté ; et comme rien n’est si esclave que la vanité, et si indépendant, au contraire, que la véritable fierté, il n’est pas de supplice plus cruel, que la réunion de ces deux sentiments dans le même caractère. […] Une femme ne peut exister par elle ; la gloire même ne lui servirait pas d’un appui suffisant, et l’insurmontable faiblesse de sa nature et de sa situation dans l’ordre social, l’a placée dans une dépendance de tous les jours dont un génie immortel ne pourrait encore la sauver. […] Enfin, avant d’entrer dans cette carrière de gloire, soit que le trône des Césars, ou les couronnes du génie littéraire en soient le but, les femmes doivent penser que, pour la gloire même, il faut renoncer au bonheur, et au repos de la destinée de leur sexe ; et qu’il est dans cette carrière bien peu de sorts qui puissent valoir la plus obscure vie d’une femme aimée et d’une mère heureuse. […] Enfin, en France, on est entouré d’hommes, qui tous se disent le centre de cet immense tourbillon ; on est entouré d’hommes, qui tous auraient préservé la France de ses malheurs, si on les avait nommés aux premières places du gouvernement, mais qui tous, par le même sentiment, se refusent à se confier à la supériorité, à reconnaître l’ascendant du génie ou de la vertu.

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